Au temps de la mort des marjolaines,
Alors que bourdonne ton léger
Rouet, tu me fais, les soirs, songer
A tes aïeules les châtelaines.

Tes doigts sont fluets comme les leurs
Qui dévidaient les fuseaux fragiles.
Que files-tu, sœur, en ces vigiles,
Où tu chantes d'heurs et de malheurs ?

Seraient-ce des linceuls pour tes rêves
D'amour, morts en la saison des pleurs
D'avoir vu mourir toutes les fleurs
Qui parfumèrent les heures brèves ?

Oh ! le geste fatal de tes mains
Pâles, quand je parle de ces choses,
De tes mains qui bénirent les roses
En nos jours d'amour sans lendemains !

C'est le vent d'automne dans l'allée,
Sœur, écoute, et la chute sur l'eau
Des feuilles du saule et du bouleau,
Et c'est le givre dans la vallée.

Dénoue - il est l'heure - tes cheveux
Plus blonds que le chanvre que tu files ;
L'ombre où se tendent nos mains débiles
Est propice au murmure des vœux.

Et viens, pareille à ces châtelaines
Dolentes à qui tu fais songer,
Dans le silence où meurt ton léger
Rouet, ô ma sœur des marjolaines !


Stuart Merrill

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Johann - Poetica Mundi