19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I – Le Pêcheur Comme un pêcheur debout sur la rive profonde, Dieu, sur le bord du ciel devançant le matin, Jette, — immense filet, — chaque jour sur le monde Et l'entraîne, le soir, plein d'un sombre butin. Ceux-là que nous aimons, ce sont ceux qu'il emporte : Ce...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Philothée Oneddy. I LE soleil, déchiré par les rocs ténébreux, Tombe, comme César, dans sa robe sanglante, Avant de nous quitter, l'heure se fait plus lente, Et de confuses voix murmurent des adieux C'est le soir ! — L'horizon se remplit de lumière, Et la pourpre...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Leconte de Lisle. I La forme a des splendeurs où trébuche la foi : Quelle immortalité vaudra jamais la tienne, Matière que revêt la beauté souveraine, Nature à qui sourit une éternelle loi ? Tout est saint, tout est dieu, tout est vivant en toi ! Quand notre âme se...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Frédéric Dillaye. Souvent, à la clarté qui tremble Sur l'âtre en feu je les revois, Les amoureuses d'autrefois ! — Je les revois toutes ensemble. Elles gravissent lentement Le coteau fleuri de mon rêve, Dans mon cœur réveillant sans trêve Le remords du dernier...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Henri Cazalis. Plus haut que le vol des ibis Et la pointe des granits roses, Et les pyramides moroses, Et le vieux temple d'Anubis, Des âmes rêvent, endormies : Les âmes d'hommes anciens Qui furent les Égyptiens Et ne sont plus que les momies. — Elles rêvent, — et...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Las des rapides jours et des lentes années, Des soirs tristes, des nuits mornes, des gais matins, Vers les Temps éternels, continus et lointains Que ne troubleront plus les heures obstinées, Vers les Temps éternels mon rêve s'est enfui Par delà l'horizon des...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Philippe Burty. Je pense quelquefois qu'à ceux-là seulement Que vierges elle a pris, la Mort laisse leur âme Comme une récompense ou comme un châtiment. Ils aimeront ailleurs plus implacablement, Ces âpres dédaigneux de l'amour de la femme ; — Car, plus que nos...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Théodore Moutard. Quelque chose de moi, plus vivant que la vie, Plus vrai que le réel dont je croyais souffrir, Plus puissant que l'amour dont j'eus l'âme asservie, Quelque chose de moi qui ne saurait mourir, C'est la part de moi même à moi-même ravie, Eparse au...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Introduction Cherchant plus haut que moi l'espoir de ma pensée, J'ai trouvé la douleur dont je voulais mourir ; Puisque je porte au cœur ta blessure insensée, O volupté sans nom de l'amour sans désir ! — J'ai trouvé la douleur dont je voulais mourir. — Si tu vis sous...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Allumés dans la nuit sereine où nous mourons, Gazons qui fleurissez les humaines reliques, Vous n'êtes pas encor tout ce que nous serons ! Grands bois debout dans l'ombre où naissent les mystères, Nuages qui passez, rapides, sur nos fronts, Sources aux regards lents...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Émile Bergerat. L'Esprit n'habite pas sous les confusions D'atomes entraînés dans les métamorphoses : — C'est la Forme, oscillant sous des vibrations, Qui nous montre la Vie au plus secret des choses. L'Être attend le contour pour se manifester, Et sa source, cachée...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Les grands chênes, pareils à de sombres amants, Tordent dans l'air leurs bras où pend leur chevelure, Et, debout sous le vent, ont la sinistre allure Des mornes désespoirs et des accablements. Comme un prince très vieux dont la tête vacille Sous le poids des longs...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
C'est l'âme des aïeux que vers l'azur clément Les grands arbres des bois élèvent lentement, Debout dans leur vieillesse héroïque et superbe ; Nos morts, nos jeunes morts, à nous, dorment sous l'herbe. Quelque broussaille, à peine, aux feuillages penchés, Jette un...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Errant sous le dôme emperlé Des verdures ensommeillées ; Parfois, au sortir des feuillées, L'œil clair des sources m'a troublé. — L'eau regarde : — et l'aurore éveille, Dans ce regard lent et discret, Comme l'étonnement secret D'un jeune esprit qui s'émerveille. Comme...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Les morts vont vite. BURGËR. I Du front des sources qui, sans trêve, Se lamentent sous les gazons, Vers le ciel bleu des horizons Ils sont remontés, comme un rêve : Fils des terrestres éléments, Nés des pleurs éternels de l'onde, Plus haut que ses gémissements Ils ont...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Comme au front monstrueux d'une bête géante Des yeux, des yeux sans nombre, effroyables, hagards, Les Astres, dans la nue impassible et béante, Versent leurs rayons d'or pareils à des regards. Des haines, des amours, tout ce qui fut le monde, Vibrent dans ces regards...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
O Mer, sinistre Mer que la bise d'automne Secoue et fait claquer ainsi qu'un vain lambeau ; O Mer, joyeuse Mer, magnifique manteau Qu'agrafe le Soleil aux flancs nus de Latone ; O Mer, sinistre Mer dont les gémissements Troublent l'esprit nocturne attardé sur les...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
On dirait que la Terre a bu le sang des lis Et d'un deuil éclatant voile cette hécatombe, Car déjà la blancheur des marbres clôt la tombe Où dorment pour longtemps ces doux ensevelis. Je t'adore, ô pâleur des vierges trépassées Dans l'éblouissement des rêves amoureux,...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Parlez, terrestres voix, chant nocturne des choses, Des langues à venir chuchotement lointain, Cris des enfantements, chœur des métamorphoses, Dernier adieu des morts dont la forme s'éteint ; Bruit des déchirements sans fin de la Matière, Lent et plaintif écho des...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Pareille au fin réseau que sur sa gorge nue Psyché serrait, pleurant ses premières pudeurs, Une invisible mer balance sous la nue Le flux et le reflux des terrestres odeurs. Comme un sein virginal que traverse une haleine De parfums infinis, tièdes et pénétrants, Un...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
A vous s'en vont mes vers tremblants S'abattre devant vos pieds blancs Comme des colombes blessées ; Vous êtes ce qu'ils ont chanté, L'espoir, la grâce, la beauté, Toutes mes chimères passées Tous mes rêves me sont rendus ; L'ange des paradis perdus A leur seuil sous...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I Comme l'ombre d'un vol d'oiseau Sur la neige d'une colline, Sur ton front blanc, double réseau, L'ombre de tes cheveux s'incline Pareille à l'écume d'argent Du flot qui sur les bords s'apaise. Montant vers elle et la frangeant, La candeur de ton front la baise. Tant...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I Ne crains plus rien d'un cœur qu'a trahi sa fierté : J'ai descendu la cime éclatante du Rêve. Pour m'apporter l'oubli l'ivresse fut trop brève : Mais si je me souviens, tout espoir m'a quitté. Ne crains plus rien d'un cœur que les jours ont dompté. L'homme abjure...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Prologue Poursuivre ce qui fuit, rêver ce qu'on ignore, S'ouvrir une blessure impossible à guérir, Hâter la trahison que garde l'avenir A ceux que l'idéal implacable dévore ; Fuir ce qu'on peut aimer, chercher ce qu'on adore, Ce qui peut-être est mort ou vous fera...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
À Alexandre Babille. I Sur l'amant et sur la maîtresse, L'Aube épanche un jour enchanté, Et le temps semble à leur ivresse Le seuil d'or d'une éternité. Et le premier frisson des brises, Baisant leurs fronts silencieux, Emporte leurs âmes surprises, D'une aile égale...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I J'adore ta Beauté, pour ce qu'elle est pareille A mon Rêve immortel et me parle des cieux, Comme un hymne lointain qui chante à mon oreille. Elle évoque les jours longs et délicieux Que j'ai vécus, sans doute, en attendant la vie, Dans quelque monde obscur où mon...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Je sais, du profond de mon être, Un coin plein d'immortelles fleurs, Oasis où nul ne pénètre Que le soleil et l'aube en pleurs. Je sais un jardin plein de roses Au cœur comme le mien ouvert, Et qui, dans les hivers moroses, Gardent un printemps toujours vert. Elles...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
« Eripuit cælo fulmen. » I Devant les splendeurs d'un autre-âge, Les siècles longtemps prosternés Tendaient vainement leur courage Vers la gloire de leurs aînés. Les spectres de Rome et d'Athènes Voilaient, de leurs ailes lointaines, La route à la postérité Et...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Mon cœur triste, mon cœur amer, Mon cœur est pareil à la mer Qu'un flux et qu'un reflux déploie. Des vagues y roulent aussi : Celles qui s'en vont sont ma joie. Celles qui viennent mon souci ! Armand Silvestre
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
O jeunesse ! ô clarté des aubes envolées, Ombre des anciens jours, feu des astres éteints, Or des blés moissonnés, parfum des fleurs foulées, Verdoyante forêt des souvenirs lointains ! Armand Silvestre
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I Quatre-vingts ans déjà, qu'au ciel de la Patrie, Ployante sous le joug et par le fer meurtrie. Un astre se leva, pâlissant les flambeaux, Comme fait le matin les lampes des tombeaux. Comme une rose teinte au sang de la victoire, A l'horizon brumeux où fumait le...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Prologue Êtes-vous femme, êtes-vous ange ? Ou votre nom mentit deux fois, O charmeresse dont la voix Tinte avec une grâce étrange ? Vos yeux dont le bleu divin change Comme celui des fleurs des bois Jettent, dans les cœurs aux abois, De crainte et d'espoir un mélange....
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I Il est un grand tombeau dont l’horreur me poursuit, Large, froid, et peuplé de silences funèbres : — C’est l’immense tombeau qu’ouvre sur nous la nuit Dans l’azur dilaté par l’effroi des ténèbres. Comme des jours furtifs où glisse la pâleur D’un ciel d’or très...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
On dirait que la Terre a bu le sang des lis Et d’un deuil éclatant voile cette hécatombe, Car déjà la blancheur des marbres clôt la tombe Où dorment pour longtemps ces doux ensevelis. Je t’adore, ô pâleur des vierges trépassées Dans l’éblouissement des rêves amoureux,...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Clairsemés dans la moisson verte, Les pavots la vont rougissant Comme des piqûres ouvertes Au cou d’un animal puissant. Le vent qui roule son haleine Sur le flot onduleux du blé Fait haleter toute la plaine Comme un bœuf au soc attelé. O vaillante bête, ô nature, Sous...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Dans les grands bois que l’automne A lentement dépouillés, Sous les arbres effeuillés Que berce un vent monotone, Devant les tristes couchants Rayés de pourpre et de cuivre, Mon souvenir aime à suivre Le déclin des jours penchants. Des langueurs d’aube pâlie, En...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Comme deux lys jumeaux dont le double calice S’élargit, pour laisser saillir, plus vive encor, La flèche au triple feu des étamines d’or, S’arrondissent tes seins où grandit mon supplice. A leur ombre ton cœur mûrit la trahison, Comme un serpent blotti sous la hauteur...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Au blanc soleil de minuit Qui semait d’argent la grève Elle allait, pâle et sans bruit. Le front perdu dans un rêve. Des genêts d’or s’effeuillaient Et les vers luisants brillaient Sur sa route habituelle. L’onde claire des étangs Baisait ses cheveux flottants. — On...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Errant sous le dôme emperlé Des verdures ensommeillées ; Parfois, au sortir des feuillées, L’œil clair des sources m’a troublé. — L’eau regarde : — et l’aurore éveille, Dans ce regard lent et discret, Comme l’étonnement secret D’un jeune esprit qui s’émerveille. Comme...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Quand la mort nous fera roides et sans haleine, Squelettes tous les deux, l’un à l’autre pareils, Et que, pour d’autres yeux, le penchant des soleils Roulera des flots d’or sur la mouvante plaine ; A l’heure où le berger sous son manteau de laine Se dresse, morne et...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Que la route vous soit fleurie, Pleine de parfums et de chants, Vous qui sur les coteaux penchants Allez cueillir la Rêverie. Que la Nature vous sourie, Vous donnant l’oubli des méchants, Et puisse être la clef des champs Légère à votre main chérie. Moi je demeure et...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I CELUI qui passait triomphant Debout dans sa grâce farouche, Sous l’or de ses cheveux d’enfant Dont le flot attirait ma bouche, Celui dont la feinte douceur M’atteignit de blessures telles, C’était Phaon le beau chasseur Dont les flèches étaient mortelles ! II Comme...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Parlez, terrestres voix, chant nocturne des choses, Des langues à venir chuchotement lointain, Cris des enfantements, chœur des métamorphoses, Dernier adieu des morts dont la forme s’éteint ; Bruit des déchirements sans fin de la Matière, Lent et plaintif écho des...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Grand artiste couché sous la terre éplorée, Vaincu frappé debout sous la pierre étendu, Rêveur déchu du haut de ton rêve éperdu, Je veux chanter envers ta mémoire sacrée. L’outil dur des graveurs dans la main inspirée, Comme un stylet de feu vers l’idéal tendu, De...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Le poète dort : l’oiseau chante. Mais, près du poète endormi, La voix de l’oiseau, plus touchante, Garde quelque chose d’ami. Le poète est mort : la fleur brille. Mais, près du poète, la fleur, Dans la goutte d’eau qui scintille Garde quelque chose d’un pleur. Le...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Ce ne fut ni la chair vivante, ni l’argile Qui servit de modèle à ce corps radieux : La femme a moins d’orgueil, — la terre est trop fragile, Et ce marbre immortel vient du pays des Dieux. Jamais l’âme cruelle aux amantes cachée. N’eut ce sein ni ce front augustes...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Sous les rideaux blancs des aubes pâlies. Fragile berceau de nos lendemains, L’An nouveau qui naît porte dans ses mains Avec nos plaisirs nos mélancolies. De frimas l’hiver trama la candeur Des plis dont le voile errant le protège ; Ses premières fleurs sont des...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Le temps emporte d’un coup d’aile Et, sans les compter, nos instants ; Seuls, une heure, de temps en temps, Nous laisse un doux souvenir d’elle. Chaque jour, dans le cœur fidèle, Fait revivre ses traits flottants, Comme on revoit chaque printemps Fleurir les tombes...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
I La Lyre est l’amie éternelle ! L’Art montre l’éternel chemin ! Tout bonheur durable est en Elle, En Lui gît tout l’honneur humain ! Aux saintes cordes de la Lyre Vibre, après l’amoureux délire, Le réveil de notre fierté. A notre cœur même arrachées, Elles chantent,...
19ème siècle, Armand Silvestre, Poèmes
Dans ce marbre héroïque en creusant ta statue, Un artiste inconnu fixa l’éternité, O toi dont la splendeur nous fait vivre et nous tue, Femme de qui les temps connurent la Beauté. Il te fit cette image immortelle et profonde Où nos premiers regards retrouvent,...