Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je...
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde ennuyé, Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié : - " Ah ! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères, Plutôt que de nourrir cette...
I. Tu n'es certes pas, ma très-chère, Ce que Veuillot nomme un tendron. Le jeu, l'amour, la bonne chère, Bouillonnent en toi, vieux chaudron ! Tu n'es plus fraîche, ma très-chère, Ma vieille infante ! Et cependant Tes caravanes insensées T'ont donné ce lustre abondant...
Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés. Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de...
Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les...
Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne, Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis, Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis Et voûtés sous le ciel carré des solitudes, Où l'enfant boit, dix ans,...
Il n'est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ; et celui-là seul peut faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du masque, la haine du...
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux, Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes, S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes. Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en...
Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l'ambition déçue, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les cœurs brisés, par toutes ces âmes tumultueuses et fermées, en qui grondent encore les derniers...
Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l'atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu. L'âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C'est quelque chose de crépusculaire, de...
« Vraiment, ma chère, vous me fatiguez sans mesure et sans pitié ; on dirait, à vous entendre soupirer, que vous souffrez plus que les glaneuses sexagénaires et que les vieilles mendiantes qui ramassent des croûtes de pain à la porte des cabarets. « Si au moins vos...
Sonnet. Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ; Retiens les griffes de ta patte, Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux, Mêlés de métal et d'agate. Lorsque mes doigts caressent à loisir Ta tête et ton dos élastique, Et que ma main s'enivre du plaisir De...
I Dans ma cervelle se promène Ainsi qu'en son appartement, Un beau chat, fort, doux et charmant. Quand il miaule, on l'entend à peine, Tant son timbre est tendre et discret ; Mais que sa voix s'apaise ou gronde, Elle est toujours riche et profonde. C'est là son charme...
« — Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. » Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et...
Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini. Grand délice que celui de...
La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux. Et elle s'approcha de...
Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l'œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour. L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit ; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes...
Vous avez, compagnon dont le cœur est poète, Passé dans quelque bourg tout paré, tout vermeil, Quand le ciel et la terre ont un bel air de fête, Un dimanche éclairé par un joyeux soleil ; Quand le clocher s'agite et qu'il chante à tue-tête, Et tient dès le matin le...
Je voyageais. Le paysage au milieu duquel j'étais placé était d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Il en passa sans doute en ce moment quelque chose dans mon âme. Mes pensées voltigeaient avec une légèreté égale à celle de l'atmosphère ; les passions...
Il me dit qu'il était très riche, Mais qu'il craignait le choléra ; — Que de son or il était chiche, Mais qu'il goûtait fort l'Opéra ; — Qu'il raffolait de la nature, Ayant connu monsieur Corot ; — Qu'il n'avait pas encor voiture, Mais que cela viendrait bientôt ; —...
Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables ! Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, — telles que le...
Enfin ! seul ! On n'entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. Enfin ! il...
Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l'action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables. Tel qui, craignant de trouver chez...
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, Même quand elle marche on croirait qu'elle danse, Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés Au bout de leurs bâtons agitent en cadence. Comme le sable morne et l'azur des déserts, Insensibles tous deux à l'humaine...
Un homme épouvantable entre et se regarde dans la glace. « Pourquoi vous regardez-vous au miroir, puisque vous ne pouvez vous y voir qu'avec déplaisir ? » L'homme épouvantable me répond : « — Monsieur, d'après les immortels principes de 89, tous les hommes sont égaux...
Ce spectre singulier n'a pour toute toilette, Grotesquement campé sur son front de squelette, Qu'un diadème affreux sentant le carnaval. Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval, Fantôme comme lui, rosse apocalyptique Qui bave des naseaux comme un épileptique....
Au milieu des flacons, des étoffes lamées Et des meubles voluptueux, Des marbres, des tableaux, des robes parfumées Qui traînent à plis somptueux, Dans une chambre tiède où, comme en une serre, L'air est dangereux et fatal, Où des bouquets mourants dans leurs...
Celui dont nous t’offrons l’image, Et dont l’art, subtil entre tous, Nous enseigne à rire de nous, Celui-là, lecteur, est un sage. C’est un satirique, un moqueur ; Mais l’énergie avec laquelle Il peint le Mal et sa séquelle Prouve la beauté de son cœur. Son rire n’est...
Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive, Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu, Je me pris à songer près de ce corps vendu À la triste beauté dont mon désir se prive. Je me représentai sa majesté native, Son regard de vigueur et de grâces armé, Ses...
N'est-ce pas qu'il est doux, maintenant que nous sommes Fatigués et flétris comme les autres hommes, De chercher quelquefois à l'Orient lointain Si nous voyons encore les rougeurs du matin, Et, quand nous avançons dans la rude carrière, D'écouter les échos qui...
Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches, Courir tout au travers du feuillage et des branches, Gauche et pleine de grâce, alors qu'elle cachait Sa jambe, si la robe aux buissons s'accrochait. Charles Baudelaire
Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes. Le succube verdâtre et le rose lutin T'ont-ils versé la peur et l'amour de...
Il est de forts parfums pour qui toute matière Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre. En ouvrant un coffret venu de l'Orient Dont la serrure grince et rechigne en criant, Ou dans une maison déserte quelque armoire Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse...
Un ange furieux fond du ciel comme un aigle, Du mécréant saisit à plein poing les cheveux, Et dit, le secouant : " Tu connaîtras la règle ! (Car je suis ton bon Ange, entends-tu ?) Je le veux ! Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace, Le pauvre, le méchant, le...
La Débauche et la Mort sont deux aimables filles, Prodigues de baisers et riches de santé, Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté. Au poète sinistre, ennemi des familles, Favori de l'enfer, courtisan mal tenté,...
Parfum exotique est un sonnet en alexandrins de Charles Baudelaire paru dans la section Spleen et Idéal du recueil Les Fleurs du Mal (1857). Le poème aurait été inspiré par la liaison entre le poète et sa muse Jeanne Duval ainsi que par un voyage vers Calcutta qui...
Le poète au cachot, débraillé, maladif, Roulant un manuscrit sous son pied convulsif, Mesure d'un regard que la terreur enflamme L'escalier de vertige où s'abîme son âme. Les rires enivrants dont s'emplit la prison Vers l'étrange et l'absurde invitent sa raison ; Le...
Ô muse de mon cœur, amante des palais, Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ? Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?...
Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières, Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ; Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés. Me sauvant de tout piège et de tout péché grave, Ils conduisent mes...
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie...
Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre ; leurs armes Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang. Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant. Les glaives sont brisés ! comme notre jeunesse, Ma chère ! Mais les dents,...
Je veux, pour composer chastement mes églogues, Coucher auprès du ciel, comme les astrologues, Et, voisin des clochers, écouter en rêvant Leurs hymnes solennels emportés par le vent. Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde, Je verrai l'atelier qui chante et...
Le Démon, dans ma chambre haute, Ce matin est venu me voir, Et, tâchant à me prendre en faute, Me dit : " Je voudrais bien savoir, Parmi toutes les belles choses Dont est fait son enchantement, Parmi les objets noirs ou roses Qui composent son corps charmant, Quel est...
La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ; La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ; Je sens...
Comme la voiture traversait le bois, il la fit arrêter dans le voisinage d'un tir, disant qu'il lui serait agréable de tirer quelques balles pour tuer le Temps. Tuer ce monstre-là, n'est-ce pas l'occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun ? - Et il...
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse, Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! " - J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse, Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ; Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. Plus allait se vidant le...
Contemplons ce trésor de grâces florentines ; Dans l’ondulation de ce corps musculeux L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines. Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Divinement robuste, adorablement mince, Est faite pour trôner sur des lits somptueux, Et...
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire est un poème de Charles Baudelaire paru dans la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal (1857). Ce sonnet en alexandrins sur un amour idéal est inspiré par Madame Apollonie Sabatier avec qui le poète eu une relation...
Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ; Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins, Qui d'une main distraite et légère caresse Avant de s'endormir le contour de ses seins, Sur le dos satiné des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,...
Je suis la pipe d'un auteur ; On voit, à contempler ma mine D'Abyssinienne ou de Cafrine, Que mon maître est un grand fumeur. Quand il est comblé de douleur, Je fume comme la chaumine Où se prépare la cuisine Pour le retour du laboureur. J'enlace et je berce son âme...
Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant. - Hélas ! tout est abîme, - action, désir, rêve, Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève Maintes fois de la Peur je sens passer le vent. En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève, Le silence, l'espace...
Comme les anges à l'œil fauve, Je reviendrai dans ton alcôve Et vers toi glisserai sans bruit Avec les ombres de la nuit, Et je te donnerai, ma brune, Des baisers froids comme la lune Et des caresses de serpent Autour d'une fosse rampant. Quand viendra le matin...
Dans les caveaux d’insondable tristesse Où le Destin m’a déjà relégué ; Où jamais n’entre un rayon rose et gai ; Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse, Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueur Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ; Où, cuisinier aux...
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : Une atmosphère obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci. Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce...
Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle, Femme impure ! L'ennui rend ton âme cruelle. Pour exercer tes dents à ce jeu singulier, Il te faut chaque jour un cœur au râtelier. Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques Et des ifs flamboyants dans les fêtes...
Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure, Comme je me plaignais un jour à la nature, Et que de ma pensée, en vaguant au hasard, J'aiguisais lentement sur mon cœur le poignard, Je vis en plein midi descendre sur ma tête Un nuage funèbre et gros d'une tempête,...
Ah ! ne ralentis pas tes flammes ; Réchauffe mon cœur engourdi, Volupté, torture des âmes ! Diva ! supplicem exaudi ! Déesse dans l'air répandue, Flamme dans notre souterrain ! Exauce une âme morfondue, Qui te consacre un chant d'airain. Volupté, sois toujours ma...
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t'enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte. Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu !...
Que j'aime voir, chère indolente, De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante, Miroiter la peau ! Sur ta chevelure profonde Aux âcres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns, Comme un navire qui s'éveille Au vent du matin, Mon âme rêveuse...
Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur œil rouge. Ils méditent. Sans remuer ils se tiendront Jusqu'à l'heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique, Les ténèbres s'établiront. Leur attitude...
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse, Au fond d'un monument construit en marbre noir, Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ; Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse Et tes flancs qu'assouplit un charmant...
IDans les caveaux d’insondable tristesseOù le Destin m’a déjà relégué ;Où jamais n’entre un rayon rose et gai ;Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse, Je suis comme un peintre qu’un Dieu moqueurCondamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ;Où, cuisinier aux appétits...
La Beauté est un sonnet en alexandrins de Charles Baudelaire paru dans la section Spleen et Idéal du recueil Les Fleurs du mal (1857). C'est une réflexion sur la condition du poète et la perfection de la forme (Parnasse). La première strophe est gravée sur la...
L'homme a, pour payer sa rançon, Deux champs au tuf profond et riche, Qu'il faut qu'il remue et défriche Avec le fer de la raison ; Pour obtenir la moindre rose, Pour extorquer quelques épis, Des pleurs salés de son front gris Sans cesse il faut qu'il les arrose. L'un...
Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage ! Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage, L'Art est long et le Temps est court. Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon cœur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres. -...
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures Les persiennes, abri des secrètes luxures, Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés, Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime, Flairant dans tous les...
La femme cependant, de sa bouche de fraise, En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise, Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc, Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc : " Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science De perdre au fond d'un lit...
A Constantin Guys I De ce terrible paysage, Tel que jamais mortel n'en vit, Ce matin encore l'image, Vague et lointaine, me ravit. Le sommeil est plein de miracles ! Par un caprice singulier, J'avais banni de ces spectacles Le végétal irrégulier, Et, peintre fier de...
Une charogne est un poème de Charles Baudelaire paru dans la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal (1857). Il se compose de douze quatrains (octosyllabes et alexandrins) aux rimes croisées. Le poète mélange la description répugnante de l'animal en décomposition et...
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante...
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse, Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs, Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent...
Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! Reste longtemps, sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t'a surprise le plaisir. Dans la cour le jet d'eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l'extase Où ce soir m'a plongé l'amour. La gerbe...
I Dans les planches d'anatomie Qui traînent sur ces quais poudreux Où maint livre cadavéreux Dort comme une antique momie, Dessins auxquels la gravité Et le savoir d'un vieil artiste, Bien que le sujet en soit triste, Ont communiqué la Beauté, On voit, ce qui rend...
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ; Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un...
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse ? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ? Ange plein de...
Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume, Les souvenirs lointains lentement s'élever Au bruit des carillons qui chantent dans la brume, Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux Qui, malgré sa vieillesse, alerte...
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d'une façon...
Le Jeu est un poème de Charles Baudelaire paru dans la section Tableaux parisiens des Fleurs du Mal (édition de 1861). Il se compose de six quatrains d'alexandrins à rimes croisées. Le poète dépeint un tableau sombre et effroyable d'une maison de jeu et se remet en...
La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes ; La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts A beau précipiter dans ses ténèbres vides De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts, Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes, Par où fuiraient mille ans de...
Les amants des prostituées Sont heureux, dispos et repus ; Quant à moi, mes bras sont rompus Pour avoir étreint des nuées. C'est grâce aux astres nonpareils, Qui tout au fond du ciel flamboient, Que mes yeux consumés ne voient Que des souvenirs de soleils. En vain...
Bizarre déité, brune comme les nuits, Au parfum mélangé de musc et de havane, Oeuvre de quelque obi, le Faust de la savane, Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits, Je préfère au constance, à l'opium, au nuits, L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;...
Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon ; Il nage autour de moi comme un air impalpable ; Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon Et l'emplit d'un désir éternel et coupable. Parfois il prend, sachant mon grand amour de l'Art, La forme de la plus séduisante des...
Mon berceau s'adossait à la bibliothèque, Babel sombre, où roman, science, fabliau, Tout, la cendre latine et la poussière grecque, Se mêlaient. J'étais haut comme un in-folio. Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme, Disait : " La Terre est un gâteau plein...
Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde, Tigre adoré, monstre aux airs indolents ; Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants Dans l'épaisseur de ta crinière lourde ; Dans tes jupons remplis de ton parfum Ensevelir ma tête endolorie, Et respirer, comme une...
Le Vampire est un poème de Charles Baudelaire de la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal. Il aurait été inspiré par sa relation tumultueuse avec Jeanne Duval. Composé de six quatrains en octosyllabes aux rimes croisées, il présente une image sombre de la femme...
J'aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés, D'où semblent couler des ténèbres, Tes yeux, quoique très noirs, m'inspirent des pensers Qui ne sont pas du tout funèbres. Tes yeux, qui sont d'accord avec tes noirs cheveux, Avec ta crinière élastique, Tes yeux,...
" D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange, Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? " - Quand notre cœur a fait une fois sa vendange, Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu, Une douleur très simple et non mystérieuse, Et, comme votre joie,...
Sous une lumière blafarde Court, danse et se tord sans raison La Vie, impudente et criarde. Aussi, sitôt qu'à l'horizon La nuit voluptueuse monte, Apaisant tout, même la faim, Effaçant tout, même la honte, Le Poète se dit : " Enfin ! Mon esprit, comme mes vertèbres,...
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs ! Tu te rappelleras la beauté des caresses, La douceur du foyer et le charme des soirs, Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses ! Les soirs illuminés par l'ardeur du...
Contemplons ce trésor de grâces florentines ; Dans l’ondulation de ce corps musculeux L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines. Cette femme, morceau vraiment miraculeux, Divinement robuste, adorablement mince, Est faite pour trôner sur des lits somptueux, Et...
Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre. Autant qu'un roi je suis heureux ; L'air est pur, le ciel admirable... Nous avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux !...
A Victor Hugo Fourmillante cité, cité pleine de rêves, Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! Les mystères partout coulent comme des sèves Dans les canaux étroits du colosse puissant. Un matin, cependant que dans la triste rue Les maisons, dont la brume...
Si par une nuit lourde et sombre Un bon chrétien, par charité, Derrière quelque vieux décombre Enterre votre corps vanté, A l'heure où les chastes étoiles Ferment leurs yeux appesantis, L'araignée y fera ses toiles, Et la vipère ses petits ; Vous entendrez toute...
Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots. Je l'entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure. A travers la cité, comme dans un champ clos, Il s'en va, transformant...
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse ! Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ; Je veux te peindre ta beauté, Où l'enfance s'allie à la maturité. Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large, Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de...
Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles Etalaient en tableaux la sainte Vérité, Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles, Tempérait la froideur de leur austérité. En ces temps où du Christ florissaient les semailles, Plus d'un illustre moine,...
Aujourd'hui l'espace est splendide ! Sans mors, sans éperons, sans bride, Partons à cheval sur le vin Pour un ciel féerique et divin ! Comme deux anges que torture Une implacable calenture, Dans le bleu cristal du matin Suivons le mirage lointain ! Mollement balancés...
Dans les caveaux d'insondable tristesse Où le Destin m'a déjà relégué ; Où jamais n'entre un rayon rose et gai ; Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse, Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ; Où, cuisinier aux...
Imaginez Diane en galant équipage, Parcourant les forêts ou battant les halliers, Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage, Superbe et défiant les meilleurs cavaliers ! Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage, Excitant à l'assaut un peuple sans souliers, La...
La Géante est un sonnet en alexandrin de Charles Baudelaire paru en 1857 dans le recueil les Fleurs du Mal. Baudelaire y montre son attraction et sa fascination avouée pour les grandes choses. La géante pourrait aussi représenter la figure maternelle et le désir du...