Émile Nelligan, Meilleur par Auteur
En tant que Québécois d'adoption, il me semblait important d'avoir une page dédiée à Émile Nelligan sur Poetica Mundi. Émile Nelligan (1879-1941) est souvent considéré comme le plus grand poète québécois. Ses poèmes, admirés pour leur musicalité, sont influencés par...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Les Brises ont brui comme des litanies Et la flûte s'exile en molles aphonies. Les grands bœufs sont rentrés. Ils meuglent dans l'étable Et la soupe qui fume a réjoui la table. Fais ta prière, ô Pan ! Allons au lit, mioche, Que les bras travailleurs se calment de la...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Quand les pastours, aux soirs des crépuscules roux Menant leurs grands boucs noirs au râles d'or des flûtes, Vers le hameau natal, de par delà les buttes, S'en revenaient, le long des champs piqués de houx ; Bohêmes écoliers, âme vierges de luttes, Pleines de blanc...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Sous le clair de lune au frais du vallon, Beaux gars à chefs bruns, belles à chef blond, Au son du hautbois ou du violon Dansez la villanelle. La lande est noyée en des parfums bons. Attisez la joie au feu des charbons ; Allez-y gaiement, allez-y par bonds, Dansez la...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Dans le puits noir que tu vois là Gît la source de tout ce drame. Aux vents du soir le cerf qui brame Parmi les bois conte cela. Jadis un amant fou, voilà, Y fut noyé par une femme. Dans le puits noir que tu vois là Gît la source de tout ce drame. Pstt ! n'y vient pas...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
J'écoute en moi des voix funèbres Clamer transcendantalement, Quand sur un motif allemand Se rythment ces marches célèbres. Au frisson fou de mes vertèbres Si je sanglote éperdument, C'est que j'entends des voix funèbres Clamer transcendantalement. Tel un troupeau...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Quand, rêvant de la morte et du boudoir absent, Je me sens tenaillé des fatigues physiques, Assis au fauteuil noir, près de mon chat persan, J'aime à m'inoculer de bizarres musiques, Sous les lustres dont les étoiles vont versant Leur sympathie au deuil des rêves...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Comme la lande est riche aux heure empourprées, Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées ! Quels longs effeuillements d'angelus par les chênes ! Quels suaves appels des chapelles prochaines ! Là-bas, groupes meuglants de grands bœufs aux yeux glauques Vont...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Vous que j'aimai sous les grands houx, Aux soirs de bohême champêtre, Bergère, à la mode champêtre, De ces soirs vous souvenez-vous ? Vous étiez l'astre à ma fenêtre Et l'étoile d'or dans les houx. Aux soirs de bohême champêtre Vous que j'aimai sous les grands houx,...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Là, nous nous attardions aux nocturnes tombées, Cependant qu'alentour un vol de scarabées Nous éblouissait d'or sous les lueurs plombées. De grands chevaux de pourpre erraient, sanguinolents, à Par les célestes turfs, et je tenais, tremblants, Tes doigts entre mes...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Puisque Ruscrock m'enseigne À moi, dont le cœur saigne Sur tout ce qui se baigne Dans le malheur, À vous aimer, j'élève Ma pensée à ce rêve ; De nous faire une grève Avec mon cœur. Là donc, oiseaux sauvages, Contre tous les ravages, Vous aurez vos rivages Et vos abris...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Maître Christian Loftel n'a d'état que celui De faire des cercueils pour les mortels ses frères, Au fond d'une boutique aux placards funéraires Où depuis quarante ans le jour à peine à lui. À cause de son air étrange, nul vers lui Ne vient : il a le froid des urnes...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
I Elle a voulu trouver les cloches Du Jeudi-Saint sur les chemins ; Elle a saigné ses pieds aux roches À les chercher dans les soirs maints, Ah ! lon lan laire, Elle a meurtri ses pieds aux roches ; On lui disait : « Fouille tes poches. - Nenni, sont vers les cieux...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Le grand bœuf roux aux cornes glauques Hante là-bas la paix des champs, Et va meuglant dans les couchants Horriblement ses râles rauques. Et tous ont tu leurs gais colloques Sous l'orme au soir avec leur chants. Le grand bœuf roux aux cornes glauques Hante là-bas la...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Hier, j'ai vu passer, comme une ombre qu'on plaint, En un grand parc obscur, une femme voilée : Funèbre et singulière, elle s'en est allée, Recélant sa fierté sous son masque opalin. Et rien que d'un regard, par ce soir cristallin, J'eus deviné bientôt sa douleur...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Tout se mêle en un vif éclat de gaîté verte. Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur, Ainsi que les espoirs naguères à mon cœur, Modulent leur prélude à ma croisée ouverte. Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai ! Un orgue au loin éclate en froides...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Remémore, mon cœur, devant l'onde qui fuit De ce lac solennel, sous l'or de la vesprée, Ce couple malheureux dont la barque éplorée Y vint sombrer avec leur amour, une nuit. Comme tout alentours se tourmente et sanglote ! Le vent verse les pleurs des astres aux...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
I Jésus descend, marmots, chez vous, Les mains pleines de gais joujoux. Mettez tous, en cette journée, Un bas neuf dans la cheminée. Et soyez bons, ne pleurez pas… Chut ! voici que viennent ses pas. Il a poussé la grande porte, Il entre avec ce qu'Il apporte… Soyez...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
La bise geint, la porte bat, Un Ange emporte sa capture. Noël, sur la pauvre toiture, Comme un De Profundis, s'abat. L'artiste est mort en plein combat, Les yeux rivés à sa sculpture. La bise geint, la porte bat, Un Ange emporte sa capture. Ô Paradis ! puisqu'il...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Pour ne pas voir choir les roses d'automne, Cloître ton cœur mort en mon cœur tué. Vers des soirs souffrants mon deuil s'est rué, Parallèlement au mois monotone. Le carmin tardif et joyeux détonne Sur le bois dolent de roux ponctué… Pour ne pas voir choir les roses...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Comme des larmes d'or qui de mon cœur s'égouttent, Feuilles de mes bonheurs, vous tombez toutes, toutes. Vous tombez au jardin de rêve où je m'en vais, Où je vais, les cheveux au vent des jours mauvais. Vous tombez de l'intime arbre blanc, abattues Ça et là, n'importe...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Nous nous serrions, hagards, en silencieux gestes, Aux flamboyants juins d'or, plein de relents, lassés, Et tel, rêvassions-nous, longuement enlacés, Par les grands soirs tombés, triomphalement prestes. Debout au perron gris, clair–obscuré d'agrestes Arbres évaporant...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
La tristesse a jeté sur mon cœur ses longs voiles Et les croassements de ses corbeaux latents ; Et je rêve toujours au vaisseau des vingt ans, Depuis qu'il a sombré dans la mer des Étoiles. Oh ! quand pourrais-je encor comme des crucifix Étreindre entre mes doigts les...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Et nos cœurs sont profonds et vides comme un gouffre, Ma chère, allons-nous en, tu souffres et je souffre. Fuyons vers le castel de nos Idéals blancs Oui, fuyons la Matière aux yeux ensorcelants. Aux plages de Thulé, vers l'île des Mensonges, Sur la nef des vingt ans...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Je remarquais toujours ce grand Jésus de plâtre Dressé comme un pardon au seuil du vieux couvent, Échafaud solennel à geste noir, devant Lequel je me courbais, saintement idolâtre. Or, l'autre soir, à l'heure où le cri-cri folâtre, Par les prés assombris, le regard...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Les yeux hagards, la joue pâlie, Mais le cœur ferme et sans regret, Dans sa mansarde d'Italie Le divin Corrège expirait. Autour de l'atroce grabat, La bonne famille du maître Cherche un peu de sa vie à mettre Dans son cœur à peine qui bat. Mais la vision cérébrale...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Écoutez, écoutez, ô ma pauvre âme ! Il pleure Tout au loin dans la brume ! Une cloche ! Des sons Gémissent sous le noir des nocturnes frissons, Pendant qu'une tristesse immense nous effleure. À quoi songiez-vous donc ? à quoi pensiez-vous tant ? … Vous qui ne priez...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Ils défilent au chant étouffé des sandales, Le chef bas, égrenant de massifs chapelets, Et le soir qui s'en vient, du sang de ses reflets Mordore la splendeur funéraire des dalles. Ils s'effacent soudain, comme en de noirs dédales, Au fond des corridors pleins de...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Parmi l'ombre du cloître elles vont solennelles, Et leurs pas font courir un frisson sur les dalles, Cependant que du bruit funèbre des sandales Monte un peu la rumeur chaste qui chante en elles. Au séraphique éclat des austères prunelles Répondent les flambeaux en...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Calmes, elles s'en vont, défilant aux allées De la chapelle en fleurs, et je les suis des yeux, Religieusement joignant mes doigts pieux, Plein de l'ardent regret des ferveurs en allées. Voici qu'elles se sont toutes agenouillées Au mystique repas qui leur descend des...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Ils étaient là, les Juifs, les tueurs de prophètes, Quand le sanglant Messie expirait sur la croix ; Ils étaient là, railleurs et bourreaux à la fois ; Et Sion à son crime entremêlait des fêtes. Or, voici que soudain, sous le vent des tempêtes, Se déchira le voile...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Sainte Notre-Dame, en beau manteau d'or, De sa lande fleurie Descend chaque soir, quand son Jésus dort En sa Ville-Marie. Sous l'astral flambeau que portent ses anges, La belle Vierge va Triomphalement, aux accords étranges De céleste bîva. Sainte Notre-Dame a là-haut...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Lorsque tout bruit était muet dans la maison, Et que mes sœurs dormaient dans les poses lassées Aux fauteuils anciens d'aïeules trépassées, Et que rien ne troublait le tacite frisson, Ma mère descendait à pas doux de sa chambre ; Et, s'asseyant devant le clavier noir...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
La belle Sainte au fond des cieux Mène l'orchestre archangélique, Dans la lointaine basilique Dont la splendeur hante mes yeux. Depuis que la Vierge biblique Lui légua ce poste pieux, La belle Sainte au fond des cieux, Mène l'orchestre archangélique. Loin du monde...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
C'est un vase d'Égypte à riche ciselure, Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés : De profil on y voit, souple, les reins cambrés, Une immobile Isis tordant sa chevelure. Flambantes, des nefs d'or se glissent sans voilure Sur une eau d'argent plane aux...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Dors, fouillis vénéré de vieilles porcelaines Froides comme des yeux de morts, tous clos, tous froids, Services du Japon qui disent l'autrefois De maints riches repas de belles châtelaines ! Ton bois a des odeurs moites d'anciennes laines, Parfums de choses d'or aux...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Près de ses pots de fleurs, à l'abris des frimas, Assise à la fenêtre, et serrant autour d'elle Son châle japonais, Mademoiselle Adèle Comme à vingt ans savoure un roman de Dumas. Tout son boudoir divague en bizarre ramas, Cloître d'anciennetés, dont elle est le...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Plein de spleen nostalgique et de rêves étranges, Un soir je m'en allai chez la Sainte adorée, Où se donnait, dans la salle de l'Empyrée, Pour la fête du Ciel, le récital des anges. Et nul garde pour lors ne veillant à l'entrée, Je vins, le corps vêtu d'une tunique à...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Nous étions là deux enfants blêmes Devant les grands autels à franges, Où Sainte Marie et ses anges Riaient parmi les chrysanthèmes. Le soir poudrait dans la nef vide ; Et son rayon à flèche jaune, Dans sa rigidité d'icône Effleurait le grand Saint livide. Nous étions...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Et je retourne encor frileux, au jet des bruines, Par les délabrements du parc d'octobre. Au bout De l'allée où se voit ce grand Jésus debout, Se massent des soupçons de chapelle en ruines. Je refoule, parmi viornes, vipérines, Rêveur, le sol d'antan où gîte le hibou...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
En une très vieille chapelle Je sais un diptyque flamand Où Jésus, près de sa maman, Creuse le sable avec sa pelle. Non peint par Rubens ou Membling, Mais digne de leurs galeries ; La Vierge, en blanches draperies, Au rouet blanc file son lin. La pelle verdelette...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Voici venir les tristes frères Vers la cellule où tu te meurs. Ton esprit est plein de clameurs Et de musiques funéraires. Apportez-lui le Viatique. Saint Bénédict, aidez sa mort ! Bien que faible, faites-le fort Sous votre sainte égide antique. Ainsi soit-il au cœur...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
En expirant sur l'arbre affreux du Golgotha, De quel regret ton âme, ô Christ, fut-elle pleine ? Était-ce de laisser Marie et Madeleine Et les autres, au roc où la Croix se planta ? Quand le funèbre chœur sans Toi se lamenta, Et que les clous crispaient tes mains ;...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Les arbres comme autant de vieillards rachitiques, Flanqués vers l'horizon sur les escarpements, Ainsi que des damnés sous le fouet des tourments, Tordent de désespoir leurs torses fantastiques. C'est l'Hiver ; c'est la Mort ; sur les neiges arctiques, Vers le bûcher...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
— Oui, je souffre, ces soirs, démons mornes, chers Saints. — On est ainsi toujours au soupçon des Toussaints. — Mon âme se fait dune à funèbres hantises. — Ah ! Donne-moi ton front, que je calme tes crises. — Que veux-tu ? je suis tel, je suis tel dans ces villes,...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Vous jouiez Mendelssohn ce soir-là ; les flammèches Valsaient dans l'âtre clair, cependant qu'au salon Un abat-jour mêlait en ondulement long Ses rêves de lumière au châtain de nos mèches. Et tristes, comme un bruit frissonnant de fleurs sèches Éparses dans le vent...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Dans le salon ancien à guipure fanée Où fleurit le brocart des sophas de Niphon, Tout peint de grands lys d'or, ce glorieux chiffon Survit aux bals défunt des dames de lignée. Mais, ô deuil triomphal ! l'autruche surannée S'effrange sous les pieds de bronze d'un...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Or, la pourpre vêt la véranda rose Au motif câlin d'une mandoline, En des sangs de soir, aux encens de rose, Or, la pourpre vêt la véranda rose. Parmi les eaux d'or des vases d'Égypte, Se fanent en bleu, sous les zéphirs tristes, Des plants odorants qui trouvent leur...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Entre ses doigts osseux roulant une ample bague, L'antiquaire, vieux Juif d'Alger ou de Maroc, Orfèvre, bijoutier, damasquineur d'estoc, Au fond de la boutique erre, pause et divague. Puis, les lampes de fer que frôle l'ombre vague S'approchant tout fiévreux, le...
19ème siècle, Émile Nelligan, Poèmes
Donc, ta voix de bronze est éteinte ; Te voilà muet à jamais ! L'heure plus ne vibre ou ne tinte Dans la grand'salle que j'aimais, Où je venais après l'étude, Fumer le soir, rythmant des vers, Où l'abris du monde pervers Éternisait ma solitude. Sur le buffet aux tons...