19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À Edmond de Guerle. Quand son enseignement eut consolé le monde, Le Bouddha, retiré dans la djongle profonde Et du seul Nirvâna désormais soucieux, S'assit pour méditer, les bras levés aux cieux ; Et gardant pour toujours cette sainte attitude, Il vécut dans l'extase...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le Fils du Ciel laboure une fois dans l'année. Pour remplir ce devoir, à la date ordonnée, Un jour, Kang-Hi, le sage empereur, se courbait Sur un soc attelé de bœufs blancs du Thibet. Sans voir la foule immense et de loin accourue, L'illustre Taï-Tsing conduisait sa...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
I Dès que son fiancé fut parti pour la guerre, Sans larmes dans les yeux ni désespoir vulgaire, Irène de Grandfief, la noble et pure enfant, Revêtit les habits qu'elle avait au couvent : La robe noire avec l'étroite pèlerine Et la petite croix d'argent sur la...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À Paul Lelièvre. En mil huit cent trente-un, au début du printemps, Son Altesse le duc de Reichstadt eut vingt ans. Parfois on trouve encor quelqu'un qui se souvienne De l'avoir vu passer sur le Prater, à Vienne, Et qui vous contera qu'il était sans rival Pour faire...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Près de la vieille Égra, dans la Bohême noire, Rude et sombre contrée à la sanglante histoire, Le pâtre au voyageur désigne encor du doigt Un très ancien moutier des sœurs de Saint-Benoît, Écroulé sous l'assaut des lierres parasites. Du temps que Sigismond fît contre...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À Constant Coquelin. Devant le cabaret qui domine la rade, Maître Jean Goëllo, le rude camarade, Le vieux gabier manchot du bras droit, le marin Qu'un boulet amputa le jour de Navarin, La pipe aux dents, buvant son grog par intervalles, Conte, les soirs d'été, ses...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le devin Thoutmès quatre est mort, et sa momie Est dans son hypogée à jamais endormie ; Thoutmès quatre est au rang des dieux-rois. Et son fils, Le nouveau pharaon d'Egypte, Aménophis, A pris possession du trône de son père. Coiffé du bandeau d'or où se tord la...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Sous le vieil Aureng-Zeb, à Bénarès la Sainte, Dans l'immonde quartier construit hors de l'enceinte Où pullulent, sans même un dieu qui leur soit cher, Les parias impurs qui mangent de la chair, Deux enfants au visage innocent, au cœur chaste, Mais qui, marqués du...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le soleil d'Austerlitz n'a pas encore lui. Avec ses maréchaux groupés autour de lui, Et, près de là, tenant en réserve sa garde, Du haut d'un mamelon Napoléon regarde, Monté sur un cheval gris aux naseaux fumants, S'en aller, l'arme au bras, les derniers régiments...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Monsieur Vincent de Paule, aumônier des galères, Vieux prêtre humble de cœur et de mœurs populaires, Quand il vient à Paris, demeure à l'hôpital Du couvent qu'a fondé Madame de Chantal. Sa chambre n'a qu'un lit et deux chaises de paille, Et l'unique tableau pendu sur...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Dans la paisible rue où je passe souvent, Un jour d'hiver, devant la porte d'un couvent, Je vis avec fracas, s'arrêter des carrosses. Tous les chevaux portaient, ainsi que pour des noces, Une rose à l'oreille ; et les laquais, poudrés Et superbes, tout droits sur...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
A Léopold HorSvitf Si chétive, une haleine, une âme, L'orpheline du porte-clés Promenait dans la cour infâme L'innocence en cheveux bouclés. Elle avait cinq ans ; son épaule Etait blanche sous les haillons, Et, libre, elle emplissait la geôle D'éclats de rire et de...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
A la princesse D…. C'est un parc Scandinave, aux sapins toujours verts, Où le vent automnal Courbe les fleurs d'hivers Dans les vases de marbre anciens sur la terrasse ; Et la vierge royale en qui revit la race Des brumeux Suénon dont son père descend, L'enfant...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
La pleine mer moutonne au loin sur les brisants. Dans les rocs qu'ont usés les flots et les jusants, La lame écume et bout au pied de la falaise ; Et, debout dans le vent, la jeune Granvillaise, Un bras devant les yeux, regarde à l'horizon, Car l'équinoxe approche et...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Quand le déluge eut fait son œuvre salutaire, La race de Noé pullula sur la terre Ainsi que les yeux d'or sur les plumes du paon. Alors dans les vallons fertiles du Liban Heth et Sidon, issus de Cham, le fils indigne, Vinrent, pour cultiver le froment et la vigne, Et...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Dans le flot des manants qui devant eux s'entr'ouvre, Deux raffinés, allant par le Pont-Neuf au Louvre, Causent joyeusement, bras dessus, bras dessous. Ils sont, en vérité, charmants, les jeunes fous ! L'ombre que sur leurs yeux jette le feutre à plume Fait briller...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Mohammed, qui venait d'épouser Kadidja, N'était qu'un chamelier de l'Hedjas ; mais déjà Las de voir adorer des idoles ingrates, Son esprit méditait les sublimes sourates Du Koran et rêvait la grandeur d'un seul Dieu, En plein désert, devant l'infini du ciel bleu. Or,...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Au fond je suis resté naïf, et mon passé, Bien que sombre, n'a pas tout à fait effacé De mon cœur la première et candide chimère ; Et, lorsque je rencontre allant devant leur mère, Timides sous les yeux ardents des connaisseurs, Deux fillettes de seize à dix-huit ans,...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À ma sœur madame Sophie Lafaye. I La petite maison à mine sépulcrale, Noire et basse, en plein nord, près de la cathédrale, Quand j'avais visité la ville, m'avait plu Par son air clérical, discret et vermoulu. L'espalier de la porte avec ses quelques roses Qui, pâles,...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Tristes vaincus, à l'œil terne, au teint rance, Anciens chanteurs ayant perdu la voix, On n'a pour vous pitié ni déférence. Mais je prétends vous venger ― je le dois ― Des coups de pied de l'âne et du bourgeois. Car le destin fut vraiment trop sévère Et d'amertume a...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
C'est lâche ! J'aurais dû me fâcher, j'aurais dû Lui dire ce que c'est qu'un bonheur attendu Si longtemps et qui manque, et qu'une nuit pareille Qu'on passe, l'œil fixé sur l'horloge et l'oreille Tendue au moindre bruit vague de l'escalier. C'est lâche ! J'aurais dû...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Ô France ! je sais bien que, dans cette tuerie, À celui qui dira : pitié ! pudeur ! patrie ! Ces acharnés répondront : Non ! Que tout espoir de paix est presque une chimère ; Mais je serai l'écho de ta douleur de mère Parmi l'orage du canon. Je sais que le...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le Paris chic est sur la Rive Droite. Dieu ! que d'hôtels loués pour de longs baux ! Mais ces splendeurs n'ont rien que je convoite, Car j'y vois trop de gens qui font les beaux, Trop de boursiers, de juifs et de cabots. Je le sais bien, c'est là qu'on fait fortune....
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Elle est un peu pédante, et, lorsque nous lisons, Tout en laissant rôtir sa pantoufle aux tisons, Elle laisse échapper un fin mot de critique. Moi, comme j'ai fait choix d'un livre sympathique, Comme il est quelquefois signé par un ami, Je le défends, mais trop...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À Paul Dalloz. I Lecteur, à toi ces vers, graves historiens. De ce que la plupart appelleraient des riens. Spectateur indulgent qui vis ainsi qu'on rêve, Qui laisses s'écouler le temps et trouves brève Cette succession de printemps et d'hivers, Lecteur mélancolique et...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Quel ciel pur ! Je ferme mon livre. Allons voir les blés, ma Suzon ! La forte chaleur nous enivre. Baise-moi ; car, dans ce buisson, Tous les nids nous font la leçon. Dans ce champ dont l'épi nous frôle, Aimons-nous loin de tout soupçon. Les blés sont à hauteur...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Elle viendra ce soir ; elle me l'a promis. Tout est bien prêt. Je viens d'éloigner mes amis, De bruler des parfums, d'allumer les bougies Et de jeter au feu les fades élégies Que j'ai faites alors qu'elle ne venait pas ; Et j'attends. Tout à l'heure elle viendra. Son...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Pour chanter la Bretagne et sa belle légende, L'écume de la mer et la fleur de la lande, Entre tous la Muse t'élut. Mais, loin des vieux dolmens, loin des flots pleins d'épaves, Nous aussi, nous aimons tes poèmes suaves. Brizeux, barde d'Arvor, salut ! Moi, le...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Chrétien de cœur, sinon de foi, Que la raison maussade éclaire, Je ne peux plus ― hélas ! pourquoi ? ― Aller à la messe et m'y plaire. Mais, comme moi, le populaire En vain semble se détacher De sa croyance séculaire : Le Français tient à son clocher. On proscrit...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Il faisait presque nuit. La chambre était obscure. Nous étions dans ce calme alangui qui procure La fatigue, et j'étais assis à ses genoux. Ses yeux cernés, mais plus caressants et plus doux, Se souvenaient encor de l'extase finie, Et ce regard voilé, long comme une...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Salut, César ! Pour toi les pâles Destinées Comptent-elles les jours, les mois ou les années ? Pour un brave la mort n'est rien : Tu l'affrontas jadis sur les champs de carnage ; A présent, tu l'attends sans peur, étant un sage. Tu te meurs, ― et tu le sais bien....
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
J'ai visité la Tour énorme, Le mât de fer aux durs agrès. Inachevé, confus, difforme, Le monstre est hideux, vu de près. Géante, sans beauté ni style, C'est bien l'idole de métal, Symbole de force inutile Et triomphe du fait brutal. J'ai touché l'absurde prodige,...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Je ne suis plus l'enfant et tu n'es plus l'espiègle Qui naguère, le long des verts épis de seigle, Effarions les oiseaux du printemps par nos jeux, Ou qui marchions, le long des aubépins neigeux Dont la branche en passant vous taquine et vous frôle, Enlacés et...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
O toi dont la science et le constant effort Ont si souvent vaincu la douleur et la mort, O cerveau puissant et fertile, De l'univers qui souffre obstiné bienfaiteur, Pardonne si ma voix interrompt, ô Pasteur, Un instant ton travail utile ! Le genre humain te paye un...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Un soir de mai, trouvant que vivre est un ennui, Sûr du spleen de demain par le spleen d'aujourd'hui, J'allais, le front courbé, les yeux fixés en terre, Sur le calme trottoir d'un faubourg solitaire, Sans voir s'ouvrir au ciel les étoiles en fleur, Quand soudain un...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
L'autre soir, en parlant à cette jeune fille D'un rien, d'un chiffon blanc que brodait son aiguille. Du ruban que parmi ses nattes elle avait, Vain prétexte pour mieux admirer le duvet Des petits cheveux blonds frisant près de l'oreille, Et cette ombre, au reflet...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
D'une somme hier dissipée Il me reste une pièce encor. Elle est brillante et bien frappée : C'est un vieux napoléon d'or. Pris d'une tristesse soudaine, Je vois luire, au creux de ma main, Le front lauré du capitaine Et son fier visage romain. Je deviens pensif et je...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
DON JUAN n'est pas mort. Aucun gouffre N'absorba le grand Curieux. L'antique enfer n'a plus de soufre. Don Juan vit. Don Juan s'est fait vieux. Très longtemps, fidèle à son rôle, Il a bravé toute pudeur, Sans que tombât sur son épaule La lourde main du Commandeur. Les...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
La plus lente caresse, amie, est la meilleure, N'est-ce pas ? Et tu hais l'instant funeste où l'heure Rappelle avec son chant métallique et glacé Qu'il se fait tard, très-tard, et qu'il est dépassé Déjà le temps moral d'un bain ou d'une messe. Car ce sont les adieux...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le père Éloi, l'ancien compagnon charpentier, ― Autrefois un fameux homme dans son métier, ― N'avait que soixante ans sonnés, pas davantage. Mais pour un ouvrier, déjà c'est un grand âge. Étant connu sur tous les chantiers cependant, Il vécut assez bien jusqu'à son...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Un jour, — pardonnez-moi ce crime, ô grands plastiques ! Un jour, je promenais dans le Louvre, aux Antiques, Mes rêves d'art intime et de modernité. Le Musée est très frais et très calme, en été. Après le Carrousel torride et son asphalte, Il est doux, par les jours...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le soleil froid donnait un ton rose au grésil Et le ciel de novembre avait des airs d'avril. Nous voulions profiter de la belle gelée. Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants, Nous franchissions, parmi les couples...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
I Sous le ciel d'hiver, bas et terne, Les gueux, les errants du trottoir, A la porte de la caserne Attendent la soupe du soir. Frissonnants sous la blouse bleue Ou sous le drap beaucoup trop mûr, Comme au théâtre ils font la queue, Deux par deux, serrés près du mur....
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Le train stoppa ; c'était la station de Sèvres. Assis dans mon wagon, la cigarette aux lèvres, En jetant un regard dehors, je remarquai, Près de la porte en bois ouverte sur le quai, Un groupe de trois sœurs vraiment presque pareilles : Mêmes cheveux au vent...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Oui ! j'ai changé souvent de maîtresse et d'amours, Mais, chaque fois, j'ai cru que c'était pour toujours ; Et, jusqu'à l'âge mûr, j'ai connu la misère De me duper moi-même, en me croyant sincère. Ah ! dans cette heure exquise où le désir naissant Et les parfums...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Paris, en été, les soirs sont étouffants. Et moi, noir promeneur qu'évitent les enfants, Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues, Je m'en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues. Je prends quelque ruelle où pousse le gazon Et dont un mur tournant...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Des millions de fois les cieux sont centenaires. Nous sommes, fils d'Adam, pareils aux éphémères Dont les chauds tourbillons vibrent, l'été, dans l'air ; Et cent ans pleins de faits dans l'histoire du monde Ne durent, devant Dieu, qu'un souffle, une seconde, Le...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
À Paul Bourget. Devant le frais cottage au gracieux perron, Sous la porte que timbre un tortil de baron, Debout entre les deux gros vases de faïence, L'amazone, déjà pleine d'impatience, Apparaît, svelte et blonde, et portant sous son bras Sa lourde jupe, avec un...
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
J'ai vu des hardes surannées Dans la boutique d'un fripier ; Telle sera, dans peu d'années, Ma pauvre gloire de papier. On me lit. Soit. J'en ai des preuves On réimprime encor mes vers. J'apprends, par les paquets d'épreuves, eue mes lauriers sont toujours verts....
19ème siècle, François Coppée, Poèmes
Quelquefois tu me prends les mains et tu les serres, Tu fixes sur les miens tes yeux bons et sincères, Et, me parlant avec cette ferme douceur Qui tient du camarade et qui tient de la sœur, Mêlant dans tes discours les douces réprimandes Aux encouragements tendres, tu...