I Le soir descend dans les vitres et les submerge… Un rayon y vacille un moment comme un cierge, Dernier cierge frileux des vêpres terminées ! L'ombre déferle ; on ne sait quoi chavire en elles ; Les ultimes clartés sont vite éliminées, Et c'est comme un sommeil...
I Tels yeux sont des pays de glace, un climat nu Où l'on chemine sans chemins dans l'inconnu ; D'autres, des soirs de province pleins de fumées Où passent des oiseaux aux ailes déplumées Qui leur font ces plaintifs regards intermittents ; D'autres vides, mais sous...
I La main s'enorgueillit de sa nudité calme Et d'être rose et lisse, et de jouer dans l'air Comme un oiseau narguant l'écume de la mer, Et de frémir avec des souplesses de palme. La main exulte ; elle est fière comme une rose – Sans songer que l'envers est un réseau...
I La maladie est un clair-obscur solennel, L'instant mi-jour, mi-lune, angoissant crépuscule ! Dans l'ombre qui s'amasse, un reste de jour brûle ; Reverra-t-on la vie au delà du tunnel ? La maladie est une crise de lumière ; On sent planer l'ombre de l'aile de la mort...
À ma sœur Marie. I Le soir, quand je m'en vais tout seul le long des rues, Vers les faubourgs, pour voir le soleil se coucher. Je sens autour de moi mes deux sœurs disparues Comme des oiseaux blancs autour d'un noir clocher. Et j'en rêve avec plus de tendresse et de...
Si vous rencontrez trop souvent — Parmi ces vers noirs et moroses Que j'écris le soir en rêvant — Le cortège des enfants roses ; Si vous trouvez trop de blondins, C'est ainsi que je les appelle, Trahissant par des cris badins Leur adorable ribambelle, C'est qu'au fond...
À Madame William Pitt-Byrne. Sa mère l'aimait tant, ce petit rieur rose ! C'était son premier-né, première fleur éclose Sur l'arbuste pliant de leurs jeunes amours. Elle en rêvait les nuits et le soignait les jours, Joyeuse à contempler son adorable allure A peigner...
À Jules Bailly. I C'étaient vraiment des gens heureux. Ils étaient trois : Le père, adroit maçon parmi les plus adroits ; La mère, brave femme à peu prés du même âge, Qui travaillait en ville et soignait son ménage ; Enfin, pour compléter ce doux intérieur, Un garçon,...
I Qui de nous, jeune encore et naïf, n'a connu L'inexplicable émoi d'un amour ingénu Qui s'éveille au milieu d'un riant paysage ? Je le revois toujours le pâle et doux visage De celle qui m'aima d'un amour si profond. Nous n'avions que vingt ans tous les deux ;...
I. L'eau sage s'est enclose en des cloisons de verre D'où le monde lui soit plus vague et plus lointain ; Elle est tiède, et nul vent glacial ne l'aère ; Rien d'autre ne se mire en ces miroirs sans tain Où, seule, elle se fait l'effet d'être plus vaste Et de se...
I Donc on a l'air de vivre et de mirer la vie, Et d'être une eau docile où le couchant s'enflamme, Une eau candide où le matin se clarifie, Comme si l'Univers cessait au fil de l'âme. Oui ! c'est vrai que notre âme est pleine de reflets : Arbres, visages, ciels,...
I En vain les vitres glauques des vieilles maisons Sont un rempart de verre humble qui s'interpose Entre la vie en fièvre et la calme âme enclose, Elles n'ont qu'embrumé l'appel des horizons. Le lointain ciel sans cesse y passe et les aère Du prestige de ses beaux...
À Théodore de Banville. L'enfant-poète, au seuil de ses jours, entendit Une voix frémissante et sombre qui lui dit : « Tu souffriras ! Ta mère en larmes va maudire La nuit où son amour a conçu son martyre, Quand elle te verra, déjà pâle et rêveur, Mordre en pleurant...
I Ne plus être qu'une âme au cristal aplani Où le ciel propagea ses calmes influences ; Et, transposant en soi des sons et des nuances, Mêler à leurs reflets une part d'infini. Douceur ! C'est tout à coup une plainte de flûte Qui dans cette eau de notre âme se...
I Dimanche : un pâle ennui d'âme, un désœuvrement De doigts inoccupés tapotant sourdement Les vitres, comme pour savoir leur peine occulte ; — Ah ! Ce gémissement du verre qu'on ausculte ! — Dimanche : l'air à soi-même dans la maison D'un veuf qui ne veut pas aider sa...
I Silence : c'est la voix qui se traîne, un peu lasse, De la dame de mon silence, à très doux pas Effeuillant les lis blancs de son teint dans la glace ; Convalescente à peine, et qui voit tout là-bas Les arbres, les passants, des ponts, une rivière Où cheminent de...
I Les chambres, qu'on croirait d'inanimés décors, — Apparat de silence aux étoffes inertes — Ont cependant une âme, une vie aussi certes, Une voix close aux influences du dehors Qui répand leur pensée en halos de sourdines… Les unes, faste, joie, un air de nonchaloir...
I Être le psychologue et l'ausculteur de l'eau, Étudier ce cœur de l'eau si transitoire, Ce cœur de l'eau souvent malade et sans mémoire. L'eau si pâle ! On dirait une sœur du bouleau Par le fard du couchant à peine un peu rosée ; Mais, dormante, elle rêve à...
Par les après-midi d'hiver mélancoliques Je vais parfois dans les vieux temples catholiques, Quand c'est un jour de fête et qu'ils sont bien ornés, Quand les prêtres au fond des nefs sont prosternés Sous le jaunâtre éclat des lampes et des cierges, Et qu'on a mis...
À François Coppée. I Marthe était née au fond d'un village des Flandres, Autour duquel un fleuve enroule ses méandres, De flots moirés coulant entre deux talus verts. Leur maison, nonobstant sa forme villageoise, Etait coquette avec son toit luisant d'ardoise Et ses...
I Ils habitaient ensemble au quatrième étage, Ce qui, prétendaient-ils, leur donnait l'avantage De jouir les premiers des rayons du soleil. Le père était tailleur, et, sitôt son réveil, Il peinait vaillamment pour nourrir son ménage. Sa femme, jeune encore, à peu près...
À Madame Louise Ackermann. L'implacable Infini dont tu souffres, poète, Nous en avons souffert comme toi, plus que toi ; Et nous avons aussi, pendant la nuit muette, Crispé nos poings d'ennui, de colère et d'effroi. Nous avons comme toi crié dans nos alarmes Vers ce...
I Quelque chose de moi dans les villes du Nord, Quelque chose survit de plus fort que la mort. En leurs quartiers lépreux qu'affligent des casernes, Quelque chose de moi pleure dans les tambours. Et par les soirs de pluie, en leurs mornes faubourgs, Quelque chose de...
I C'est la douceur, c'est la candeur du Temps Pascal Et, pour les âmes repenties, Il neige des hosties… Les vergers du ciel sont en fleurs, Neige tiède de Floréal, Comme celle tombant des branches En fleurs blanches ; Ah ! cette chute dans les cœurs De la neige en...
I Dans les villes de nord et de mysticité Il y a des jets d'eau doucement invisibles Au bruit calme, de temps en temps ressuscité, Et frais comme le nom des ruisseaux dans la Bible. Vieilles villes qui sont un moment rafraîchies Par ces colonnes de cristal éblouissant...
I La lampe enfin est allumée Sous l'abat-jour de tulle ; C'est une renoncule Qui est née ; C'est quelque étrange fleur Aux changeantes couleurs Dans la chambre qui en est tout enluminée. Ô ce sourire de lumière, Ce mystère du feu, Cette nativité dans du verre ! Est-ce...
I Aux jours pascals, quand le ciel est d'azur, ? Ô cet azur d'avril qui n'est pas encor sûr !? Apparaissent les Premières Communiantes, Cloches de mousseline, Robes bouffantes Qui cheminent… Elles vont, cloches d'innocence, En de si blancs, si vaporeux atours ! Elles...
I Les réverbères un à un vont s'allumant, Comme les étoiles Ou des cires autour d'un poêle. Et la ville s'endort pensivement… Plus une cloche ne tinte ; Toutes les lampes sont éteintes ; Elles, elles étaient les sœurs des réverbères, Sœurs heureuses, que du tulle...
À Madame X. À vous dont les cheveux de neige et de clarté Encadrent doucement la figure indulgente, — Ainsi dans les grands bois un vieux chêne s'argente Des fils blancs de la Vierge à la fin de l'été, À vous l'ancienne, à vous la bonne, à vous la seule Pour qui j'ai...
I Nous sommes dans l'amour comme sur un navire Qui prend le large et va vers un port incertain ; Le ciel est bleu, les flots ont des plis de satin Sur le corps de la mer géante qui s'étire. Les passagers d'amour penchés sur les haubans, Tandis qu'un vent léger dans...
I Ô mai ! moment blanc de l'année ! Mois des blancs unanimes, Des blancs ? comme neigés ! Blanc des jardins et des vergers, Blanc des cygnes, Blancs unanimes ! C'est le mois où les cygnes ont l'air en fleur, Tout extasiés, Comme des cerisiers ; On dirait des Premières...
Quand le poète las s'est enivré de vin Pour échapper un soir à son tourment divin, Et qu'il va seul, le long des quais couverts de câbles, Écouter l'eau qui parle en humides vocables, Le fleuve s'allongeant est comme un corps épris De femme qui le veut pour amant à...
I. LES RIVIÈRES Te rappelles-tu nos calmes rivières Qui se répandaient, limpides et fières, A travers les champs fleuris de houblons, Dans le beau pays où les toits sont blonds. Te rappelles-tu nos rivières lentes Qui traînaient au loin leurs eaux indolentes, Tristes...
Dites, avez-vous remarqué, Vous les amants du Soir moroses, Quand vous allez, le long du quai, Pleurant l'exil des soleils roses, Quand vous allez par les temps gris, Vous les songeurs, les taciturnes, Ouvrir un peu vos yeux aigris A des paysages nocturnes, Quand,...
Déchirant l'ombre, et brusque, elle est là : c'est l'aurore ! D'un mauve de prélude enflé jusqu'au lilas, S'étant taillé des nuages en falbalas, Elle se décolore, elle se recolore. Alors c'est le miracle opéré comme un jeu : Sa robe tout à coup est un pays de brume ;...
I C'est encore une année en fuite et qui s'enfonce, Et qui va s'éteignant dans l'âtre avec la cendre ; La chambre se recueille et toute elle se fonce ; Et les reflets, dans le miroir, semblent descendre. La bûche lentement dans l'âtre se consume ; La chambre songe,...
Quand j'entends un amant trahi qui se lamente Qui maudit le printemps pour un arbre sans nid, Qui trouve l'amour faux puisque fausse est l'amante Comme un soleil qu'on voit par un vitrail terni, Quand il s'enferme seul, les longs soirs de novembre, Brûlant tout : des...
I Péché ! Tentation du soir ! Chairs profanées, Lampe éteinte où ne brûle aucun reste de feu Lèvres ne sachant plus les douceurs de l'aveu, Et s'effeuillant pour tous comme des fleurs fanées. Chambres de volupté, rouge et flambant décor Dont les miroirs profonds...
Premier amour ! Parfum de la nouvelle rose ! Sur le clavier du cœur premiers accords plaqués Par une main de femme insaisissable et rose ; Premiers souffles du vent sur la voile morose Qui devine la mer dans le calme des quais. Premières floraisons dans le verger de...
I Blanches processions, si blanches, si gothiques, Dans ma Flandre natale, au temps des Fêtes-Dieu ! Blanches comme on en voit, sous un ciel calme et bleu Emplir de leur lenteur les lointains des triptyques. Si lentes, dans le bruit des cloches s'animant, Le bruit des...
I Tous les escaladeurs de ciel et de nuées, Tous les porteurs de croix, tous les voleurs de feu Qui vont vers la lumière à travers les huées Cherchent dans un regard l'infini du ciel bleu. Quel que soit leur Calvaire, il leur faut une femme ! Parfums de Madeleine, oh...
I Au loin, le Béguinage avec ses clochers noirs, Avec son rouge enclos, ses toits d'ardoises bleues Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs, S'étend dans la verdure et la paix des banlieues. Les pignons dentelés étagent leurs gradins Par où monte le Rêve aux...
Mignonne au front pudique et tendre, Nous nous aimons d’un amour pur, Et dés longtemps, triste à t’attendre, J’entrevoyais tes yeux d’azur. Comme une étoile lente A naître Qu’un pâtre attend sur des sommets, Tu m’éclairais sans me connaître, Sans te connaître je...
Douleur de se reprendre aux choses d’autrefois Et de chercher son nom sur les lèvres quittées Et de rentrer dans les maisons déshabitées Dont le jardin tressaille encore à notre voix ! Car le cœur du jardin, à travers les années, Le doux cœur du jardin surpris du cœur...
Au beau de notre amour elle s’est en allée Comme une noce en blanc au lointain d’une allée, Au beau de notre amour on a fermé le parc Où nous marchions à deux sous les rameaux en arc. L’absence tout à coup a desséché la vasque Où montait notre espoir tel qu’un jet...
La ville est morte, morte, irréparablement ! D'une lente anémie et d'un secret tourment, Est morte jour à jour de l'ennui d'être seule... Petite ville éteinte et de l'autre temps qui Conserve on ne sait quoi de vierge et d'alangui Et semble encor dormir tandis qu'on...
Quand le soir descendait, le soir attendrissant, Des amants chuchoteurs allaient le long des berges ; Des bruits d’orgues venaient des lointaines auberges Et la Lune attristait comme un portrait d’absent. Or, ces orgues pleurant parmi les vapeurs bleues Du brouillard...
Douleur de voir une par une Les fleurs de sa jeunesse en fuite dans le vent, Et de les voir tomber sur le gazon mouvant Comme des larmes de la Lune. Douleur de voir diminué Son patrimoine ancien d’espérance et de rêve, Et d’être un grand oiseau perdu sur une grève,...
Oh ! l’insipidité des rendez-vous maussades Qu’on se donne, en hiver, dans un faubourg lointain, Aux fins d’après-midi, lorsque entre les façades De rares coins de ciel sont couleur de l’étain. La femme qu’on attend dans la boue et la pluie, On sent bien que pour elle...
La nuit vient, le couchant s’éteint comme un grand âtre, Le feuillage qui mue est moins vert que bleuâtre ; Et tel arbre, qui sous trop de soleil pliait, Cligne des feuilles, bouge, et s’avoue inquiet En un frémissement de douleur musicale. Entre les rameaux drus le...
Il flotte une musique éteinte en de certaines Chambres, une musique aux tristesses lointaines Qui s'apparie à la couleur des meubles vieux... Musique d'ariette en dentelle et fumée, Ariette d'antan qu'on aurait exhumée, Informulée encore, et qu'on cherche des yeux :...
Ne nous accusez pas de deuils imaginaires, Et de vous attendrir par des pleurs simulés, Et d’aller parmi vous comme des poitrinaires Cherchant des rêves fous qui se sont envolés. Car nous ne pleurons pas sur nous, mais sur vous autres, Sur les méchants, sur les...
Les pièces d'eau, songeant dans les parcs taciturnes, Dans les grands parcs muets semés de boulingrins, S'aigrissent ; et n'ont plus pour tromper leurs chagrins Qu'un décalque de ciel avant les deuils nocturnes ; Une fête galante en nuages mirés, En nuages vêtus de...
Ô neige, toi la douce endormeuse des bruits Si douce, toi la sœur pensive du silence, Ô toi l'immaculée en manteau d'indolence Qui gardes ta pâleur même à travers les nuits, Douce ! Tu les éteins et tu les atténues Les tumultes épars, les contours, les rumeurs ; Ô...
Loin des villes, des quais, des marchands et des grèves, Mon vaisseau revenu des plus lointains climats, Pour que rien ne se mêle aux songes de ses mâts, S’isole dans la mer qui respecte ses rêves. Aucune cargaison n’en a rempli les bords, Il n’a jamais connu le feu...
L'aquarium est si bleuâtre, si lunaire ; Fenêtre d'infini, s'ouvrant sur quel jardin ? Miroir d'éternité dont le ciel est le tain. Jusqu'où s'approfondit cette eau visionnaire, Et jusqu'à quel recul va-t-elle prolongeant Son azur ventilé par des frissons d'argent ?...
Ma mère, elle a voulu garder, la sainte femme, Mon massif berceau d’autrefois ; Il rêve dans un coin aux jours d’épithalame Où moi, l’enfant nouveau, j’avais une jeune âme Et la mère une jeune voix. Mais la voix s’est usée et plus jamais ne chante Puisque les enfants...
J’entends toujours les grands Sanctus de ma jeunesse Qu’à Pâques ou Noël on chantait à la messe. Je les entends en moi, comme des voix d’absents, Et mon âme se meurt du regret de l’encens. Mon souvenir repeint les anciennes verrières Et cherche à renouer l’écheveau...
Ô ville, toi ma sœur à qui je suis pareil, Ville déchue, en proie aux cloches, tous les deux Nous ne connaissons plus les vaisseaux hasardeux Tendant comme des seins leurs voiles au soleil, Comme des seins gonflés par l'amour de la mer. Nous sommes tous les deux la...
Les hommes autrefois avaient des foyers stables ; On gardait la maison où sa mère mourait ; Et, quand d’autres enfants naissaient, on se serrait Moins à l’aise, mais plus unis, aux mêmes tables. Les meubles très anciens étaient de vieux amis : Les fauteuils allongés...
L'aquarium, toujours frissonnant, est étrange Avec son eau qu'on ne sait quoi ride et dérange Et qui se crispe moins d'un éveil de poissons Que des yeux qu'en passant nous posâmes sur elle, Et de savoir un peu de ce que nous pensons. On dirait que toujours quelque...
Ma mère, pour ses jours de deuil et de souci, Garde dans un tiroir secret de sa commode Un petit coffre en fer rouillé, de vieille mode, Et ne me l’a fait voir que deux fois jusqu’ici. Comme un cercueil, la boîte est funèbre et massive, Et contient les cheveux de ses...
Je lui disais souvent : vous êtes ma Madone Et mon âme est un lis d’argent que je vous donne. J’ai pleuré mes péchés comme font les pécheurs Et je suis maintenant digne de vos blancheurs. J’ai le ferme propos, le propos salutaire De ne plus retomber en péché...
On aura beau s'abstraire en de calmes maisons, Couvrir les murs de bon silence aux pâles ganses, La vie impérieuse, habile aux manigances, A des tapotements de doigts sur les cloisons. Dans des chambres sans bruit on aura beau s'enclore, On aura beau vouloir, comme je...
Ses yeux où se blottit comme un rêve frileux, Ses grands yeux ont séduit mon âme émerveillée, D'un bleu d'ancien pastel, d'un bleu de fleur mouillée, Ils semblent regarder de loin, ses grands yeux bleus. Ils sont grands comme un ciel tourmenté que parsème - Par les...
Des cloches, j'en ai su qui cheminaient sans bruit, Des cloches pauvres, qui vivaient dans des tourelles Sordides, et semblaient se lamenter entre elles De n'avoir de repos ni le jour ni la nuit. Des cloches de faubourg toussotantes, brisées ; Des vieilles, eût-on...
L'eau des anciens canaux est débile et mentale, Si morne, parmi les villes mortes, aux quais Parés d'arbres et de pignons en enfilade Qui sont, dans cette eau pauvre, à peine décalqués, Eau vieillie et sans force ; eau malingre et déprise De tout élan pour se raidir...
Le miroir est l'amour, l'âme-sœur de la chambre Où tout d'elle : le lustre en fleur, les bahuts vieux, La statuette au dos de bronze qui se cambre, Se réfléchit en un hymen silencieux. Car l'amour n'est-ce pas n'être plus seul et n'est-ce Pas se doubler par un autre...
Souvent, pendant les soirs d’absence et d’abandon, J’ai contemplé la Lune au visage si bon ; On eût dit dans le ciel une aïeule indulgente Inclinant son beau front que la vieillesse argente, Qui, dans la mort du jour et dans la mort du bruit, En silence écoutait les...
Quelques vieilles cités déclinantes et seules, De qui les clochers sont de moroses aïeules, Ont tout autour une ceinture de remparts. Ceinture de tristesse et de monotonie, Ceinture de fossés taris, d'herbe jaunie Où sonnent des clairons comme pour des départs,...
Vivre comme en exil, vivre sans voir personne Dans l’immense abandon d’une ville qui meurt, Où jamais l’on n’entend que la vague rumeur D’un orgue qui sanglote ou du Beffroi qui sonne. Se sentir éloigné des âmes, des cerveaux Et de tout ce qui porte au front un...
Dimanche : un pâle ennui d'âme, un désœuvrement De doigts inoccupés tapotant sourdement Les vitres, comme pour savoir leur peine occulte ; - Ah ! Ce gémissement du verre qu'on ausculte ! - Dimanche : l'air à soi-même dans la maison D'un veuf qui ne veut pas aider sa...
L'hostie est comme un clair de lune dans l'église. Or les songeurs errants et les extasiés Qui vont par les jardins où dans une ombre grise Des papillons fripés meurent sur les rosiers, Ceux que la nuit pieuse a pour catéchumènes Regardant l'astre à la chevelure...
Un Saint béni de Dieu, dans sa calme cellule, S’occupait à tresser des brins de paille d’or ; Il travaillait, fervent, comme une lampe brûle, Inattentif aux bruits vagues du corridor. Mais même la blancheur fait ombre ; sa tunique, Quoique blanche, tachait d’une ombre...
L’absence a fait son œuvre et quand l’ai revue Elle m’a regardé sans douleur ni remords, Et j’ai cru la sentir, cette calme statue, S’asseoir sur le tombeau de mon bel amour mort. Et quand, pour la reprendre à des ressouvenances, J’ai voulu lui parler des bonheurs...
C’est tout mystère et tout secret et toutes portes S’ouvrant un peu sur un commencement de soir ; La goutte de soleil dans un diamant noir ; Et l’éclair vif qu’ont les bijoux des reines mortes. Une forêt de mâts disant la mer ; des hampes Attestant des drapeaux qui...
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure, Tout brodés, restent blancs, d' un blanc mat qui figure Un printemps blanc parmi l'hiver de la maison. Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison Pareilles dans le soir à ces palmes de givre Que sur les...
Morne l'après-midi des dimanches, l'hiver, Dans l'assoupissement des villes de province, Où quelque girouette inconsolable grince Seule, au sommet des toits, comme un oiseau de fer ! Il flotte dans le vent on ne sait quelle angoisse ! De très rares passants s'en vont...
L'obscurité, dans les chambres, le soir, est une Irréconciliable apporteuse de craintes ; En deuil, s'habillant d'ombre et de linges de lune, Elle inquiète ; elle a de félines étreintes Comme une eau des canaux traîtres où l'on se noie L'obscurité, c'est la tueuse de...
Les canaux somnolents entre les quais de pierre Songent, entre les quais rugueux, comme en exil, Sans paysage clair qui se renverse au fil De l'eau qui rêve, -ainsi s'isole une âme fière, - L'âme de l'eau captive entre les quais dormants Où le ciel se transpose en...
L’âme des bons, fragile et douce étrangement, Ne peut pas croire à des trahisons incessantes Et qu’il faille toujours douter des voix absentes Et voir sur toute lèvre un silence qui ment. Les bons, ceux qui n’ont pas la science de vivre, Pauvres âmes, en qui le...
C’était toute douceur et nuance et sourdine De lys purs qui seraient sensitives, et d’une Figure de clarté qui serait clair de lune, Figure de Béguine ou de Visitandine. C’était tout falbalas et brumes en écharpes ; C’était toute musique, en pleurs d’être charnelle ;...
Si tristes les vieux quais bordés d'acacias ! Pourtant, toi qui passais, tu les apprécias Ces vieux quais où tel beau cygne de l'eau changeante Entre parfois dans une âme qui s'en argente. Si tristes les vieux quais, les eaux pleines d'adieux, Inertes comme les...
Douceur du soir ! Douceur de la chambre sans lampe ! Le crépuscule est doux comme une bonne mort Et l'ombre lentement qui s'insinue et rampe Se déroule en fumée au plafond. Tout s'endort. Comme une bonne mort sourit le crépuscule Et dans le miroir terne, en un geste...
La lampe dans la chambre est une rose blanche Qui s'ouvre tout à coup au jardin gris du soir ; Son reflet au plafond dilate un halo noir Et c'est assez pour croire un peu que c'est dimanche. La lampe dans la chambre est une lune blanche Qui fait fleurir dans les...
Les chambres, dans le soir, meurent réellement : Les persiennes sont des paupières se fermant Sur les yeux des carreaux pâles où tout se brouille ; Chaque fauteuil est un prêtre qui s'agenouille Pour l'entrée en surplis d'une extrême-onction ; La pendule dévide avec...
I. ― LES RIVIÈRES Te rappelles-tu nos calmes rivières Qui se répandaient, limpides et fières, A travers les champs fleuris de houblons, Dans le beau pays où les toits sont blonds. Te rappelles-tu nos rivières lentes Qui traînaient au loin leurs eaux indolentes,...
Communiantes ― l’air de porter un secret ! Vaporeuses, en falbalas de mousselines, Avec des yeux un peu comme des cornalines, Et leur bouche œillet sur lequel il pleuvait ; Elles vont vers Jésus comme on va vers la vie… Des berlines aux portières armoriées Les mènent...
Ô calme de l’ombre indistincte ! Ô silence du logis clos ! Le carillon du beffroi tinte, Et ses sons semblent les halos Du cadran qui, sur la tour, hante Comme un clair de lune qui chante ! La bûche brûle, opiniâtre : Elle s’enflamme, chaque fois Que le vent noir...
Souvenir ! ô douceur d’un amour qui s’achève ! Souvenir ! ô douceur d’un songe qui n’est plus ! Rappel triste, en marchant, d’anciens vers qu’on a lus ; Écume de la mer dont s’argente la grève. L’église a disparu, mais la cloche on l’entend ! Souvenir ! ô douceur de...
Inoubliable est la demeure Qui vit fleurir nos premiers jours ! Maison des mères ! C’est toujours La plus aimée et la meilleure. Ici c’est le papier fleuri Dont, les jours de fièvre moroses, Nous comptions les guirlandes roses D’un long regard endolori. Là, vers Noël,...
Je songe à d’anciens soirs lorsque le vent du nord Sonnait du haut des tours tel qu’un veilleur qui corne, Et couvrait de brouillard le soleil jaune et morne Comme d’un blanc suaire un visage de mort. L’air était glacial ; on sentait les approches De l’automne où s’en...
Au centre d’un pignon de la cour taciturne, Un cadran blasonnait la tristesse des murs Et les Heures tombaient, à coups rythmés et sûrs, Comme des gouttes d’eau qui tomberaient d’une urne. Comme des gouttes d’eau, s’égrenant par instant Sur un homme perdu dans une...
Où sont les jours d’hiver pleins de calme infini Dans la salle d’étude, aux carreaux blanc de givre ; Et les grands abat-jour sur les lampes de cuivre Comme autour d’une lune un halo d’or bruni. Quel éveil dans nos cœurs quand le soir, en sourdine, Chuchotait sa...
Faut-il fixer toujours des yeux mélancoliques, Tel qu’un prêtre pensif, sur les choses de l’Art, Tel qu’un prêtre qui reste agenouillé très tard Dans son église froide, à veiller des reliques ? Faut-il laisser fleurir les fleurs dans son jardin Pour conquérir la...
En des quartiers déserts de couvents et d'hospices, Des quartiers d'exemplaire et stricte piété, Je sais des murs en deuil vieillis sous les auspices D'un calvaire où s'étale un christ ensanglanté : Plantée en ses cheveux, la couronne d'épines Forme un buisson de...
Chacun voit arriver des jours de deuil profond Où sa jeunesse blanche est à jamais finie Et chuchote en pleurant des adieux d’agonie, Avec le geste doux des aimés qui s’en vont. Des fermoirs d’éternel silence ont clos sa bouche, Mais tandis qu’on la mise en terre,...
Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes, Parmi l'eau pâle où les vieux murs sont décalqués Avec des noirs usés d'estampes et d'eaux-fortes, Les cygnes vont comme du songe entre les quais. Et le soir, sur les eaux doucement remuées, Ces cygnes imprévus,...
Les écoliers joueurs dans le calme des classes Pour voler les rayons du soleil émergeant Enchâssent dans leurs doigts, comme un piège d’argent, Des débris lumineux de miroirs et de glaces. Et ― comme d’une cage ouverte ― ont voleté Des rayons, oiseaux d’or, qui...
Le soir tombe : prions pour les pauvres malades. Je songe à ceux qui sont dans leur chambre, reclus Les paralytiques, les perclus, Ceux qui ne sortiront jamais plus. Le soir tombe : prions pour les pauvres malades. Pour les irrémédiables phtisiques Qui rêvent de...