I Un grand château bien vieux aux murs très élevés. Les marches du perron tremblent, et l’herbe pousse, S’élançant longue et droite aux fentes des pavés Que le temps a verdis d’une lèpre de mousse. Sur les côtés deux tours. L’une, en chapeau pointu, S’amincit dans les...
A Madame la comtesse Potocka Vous voulez des vers ? – Eh bien non, Je n’écrirai sur cette chose Qui fait du vent, ni vers, ni prose ; Je n’écrirai rien que mon nom ; Pour qu’en vous éventant la face, Votre œil le voie et qu’il vous fasse Sous le souffle frais et...
Certes, mes bons amis, je ne sais rien de pire Que de faire des vers quand on n’a rien à dire. Depuis bientôt un mois j’attendais tous les jours Une inspiration… Mais je l’attends toujours. Ma verve s’est éteinte, il faut qu’on la rallume. Mon pauvre esprit grelotte...
Ce soir-là j’avais lu fort longtemps quelque auteur. Il était bien minuit, et tout à coup j’eus peur. Peur de quoi ? je ne sais, mais une peur horrible. Je compris, haletant et frissonnant d’effroi, Qu’il allait se passer une chose terrible… Alors il me sembla sentir...
La nature, d’essai en essai, allant du plus imparfait au plus parfait, arrive à cette dernière création qui mit pour la première fois l’homme sur la terre. Pourquoi le jour ne viendrait-il pas où notre race sera effacée, où nos ossements déterrés ne sembleront aux...
C’était au mois de juin. Tout paraissait en fête. La foule circulait bruyante et sans souci. Je ne sais trop pourquoi j’étais heureux aussi ; Ce bruit, comme une ivresse, avait troublé ma tête. Le soleil excitait les puissances du corps, Il entrait tout entier...
… Tandis que devant moi, Dans la clarté douteuse où s’ébauchait sa forme, Debout sur le coteau comme un monstre vivant Dont la lune sur l’herbe étalait l’ombre énorme, Un immense moulin tournait ses bras au vent. D’où vient qu’alors je vis, comme on voit dans un songe...
Un jeune homme marchait le long du boulevard Et sans songer à rien, il allait seul et vite, N’effleurant même pas de son vague regard Ces filles dont le rire en passant vous invite. Mais un parfum si doux le frappa tout à coup Qu’il releva les yeux. Une femme divine...
Les fenêtres étaient ouvertes. Le salon Illuminé jetait des lueurs d’incendies, Et de grandes clartés couraient sur le gazon Le parc, là-bas, semblait répondre aux mélodies De l’orchestre, et faisait une rumeur au loin. Tout chargé des senteurs des feuilles et du...
Les Dieux sont éternels. Il en naît parmi nous Autant qu’il en naissait dans l’antique Italie, Mais on ne reste plus des siècles à genoux, Et, sitôt qu’ils sont morts, le peuple les oublie. Il en naîtra toujours, et les derniers venus Régneront malgré tout sur la...
Près de la mer, sur un de ces rivages Où chaque année, avec les doux zéphyrs, On voit passer les abeilles volages Qui, bien souvent, n’apportent que soupirs, Nul ne pouvait résister à leurs charmes, Nul ne pouvait braver ces yeux vainqueurs Qui font couler partout...
Sur sa table de nacre au reflet argenté, La lune souriait aux tours de porcelaine, Et trois dames causant au milieu de la plaine Jetaient comme cet astre une étrange clarté. Et tandis que le vent soufflait au loin sa plainte, Mollement étendu sur des tapis soyeux,...
En ce joyeux temps de nouvelle année L’usage prescrit de faire un cadeau. L’un donne une fleur bien vite fanée, L’autre un souvenir oublié bientôt. Moi si de mon cœur suivais la prière, Perles à vos pieds viendrais apporter, Mais la bourse, hélas ! est la conseillère...
Au moment où Phébus en son char remontait, Où la lune chassée à grands pas s’enfuyait, Je voulus faire un peu ma cour à la nature, Visiter les bosquets tout remplis de verdure, M’égarer dans les bois et longer les ruisseaux, Cueillir la violette, écouter les oiseaux....
Lentement le flot arrive Sur la rive Qu’il berce et flatte toujours. C’est un triste chant d’automne Monotone Qui pleure après les beaux jours. Sur la côte solitaire Est une aire Jetée au-dessus des eaux ; Un étroit passage y mène, Vrai domaine Des mauves et des...
J’étais enfant. J’aimais les grands combats, Les Chevaliers et leur pesante armure, Et tous les preux qui tombèrent là-bas Pour racheter la Sainte Sépulture. L’Anglais Richard faisait battre mon cœur Et je l’aimais, quand après ses conquêtes Il revenait, et que son...
A Mademoiselle Louise de Miramont On a beaucoup cherché ce qui doit rendre heureux, C’est souvent peu de chose ; Le bouton d’une fleur suffirait aux amoureux, Jasmin, verveine ou rose. Plus d’un savant docteur demande à tous les saints Fièvre, rhume ou névrose, Pour...
Il fallait la quitter, et pour ne plus me voir Elle partait, mon Dieu, c’était le dernier soir. Elle me laissait seul ; cette femme cruelle Emportait mon amour et ma vie avec elle. Moi je voulus encore errer comme autrefois Dans les champs et l’aimer une dernière...
Mais dans le cloître solitaire Où nous sommes ensevelis, Nous ne connaissons sur la terre Que soutanes et que surplis… Un poète est donc insensible ? Pour lui l’amour n’a point d’appas ? Non, voyez-vous, c’est impossible ! Oh ! ne vous imaginez pas Que, dans le...
Enfant, pourquoi pleurer, puisque sur ton passage On écarte toujours les ronces du chemin ? Une larme fait mal sur un jeune visage, Cueille et tresse les fleurs qu’on jette sous ta main. Chante, petit enfant, toute chose a son heure ; Va de ton pied léger, par le...
Quand sur le boulevard je vais flâner un brin, Combien de fois j’entends, sans mourir de chagrin, Deux messieurs décorés, qui semblent fort capables, Causer, en se faisant des sourires aimables. PREMIER MONSIEUR DÉCORÉ Comment, c’est vous ? DEUXIÈME MONSIEUR DÉCORÉ...
Accours, petit enfant dont j’adore la mère Qui pour te voir jouer sur ce banc vient s’asseoir, Pâle, avec les cheveux qu’on rêve à sa Chimère Et qu’on dirait blondis aux étoiles du soir. Viens là, petit enfant, donne ta lèvre rose, Donne tes grands yeux bleus et tes...
Sauve-toi de lui s’il aboie ; Ami, prends garde au chien qui mord Ami prends garde à l’eau qui noie Sois prudent, reste sur le bord. Prends garde au vin d’où sort l’ivresse On souffre trop le lendemain. Prends surtout garde à la caresse Des filles qu’on trouve en...
Monsieur Flaubert, en ce beau jour de fête Retrempez-vous dans l’sein d’vos amis, Pour que d’leurs vœux, elle soit l’interprète Ils ont fait v’nir un’ artist’ de Paris. Monsieur Flaubert, votre patron se nomme Saint Polycarpe, un saint bien distingué. On dit partout...
Je connaissais fort peu votre mari, madame ; Il était gros et laid, je n’en savais pas plus. Mais on n’est pas fâché, quand on aime une femme, Que le mari soit borgne ou bancal ou perclus. Je sentais que cet être inoffensif et bête Se trouvait trop petit pour être...
Le gai soleil chauffait les plaines réveillées. Des caresses flottaient sous les calmes feuillées. Offrant à tout désir son calice embaumé, Où scintillait encor la goutte de rosée, Chaque fleur, par de beaux insectes courtisée, Laissait boire le suc en sa gorge...
Un nuage a passé sur votre ciel, Madame, Cachant l’astre éclatant qu’on nomme l’Avenir, La douleur a jeté son crêpe sur votre âme Et vous ne vivez plus que dans un souvenir. Tout votre espoir s’éteint comme meurt une flamme, Aucun lien parmi nous ne vous peut retenir,...
L’aïeul mourait froid et rigide. Il avait quatre-vingt-dix ans. La blancheur de son front livide Semblait blanche sur ses draps blancs. Il entr’ouvrit son grand œil pâle, Et puis il parla d’une voix Lointaine et vague comme un râle, Ou comme un souffle au fond des...
Sauve-toi de lui, s’il aboie ; Ami, prends garde au chien qui mord. Ami, prends garde à l’eau qui noie ; Sois prudent, reste sur le bord. Prends garde au vin d’où sort l’ivresse, On souffre trop le lendemain. Prends surtout garde à la caresse Des filles qu’on trouve...
Lorsque le grand Colomb, penché sur l’eau profonde, A travers l’Océan crut entrevoir un monde, Les peuples souriaient et ne le croyaient pas. Et pourtant, il partit pour ces lointains climats ; Il partit, calme et fort, ignorant quelle étoile Dans les obscures nuits...
Voyez partir l’hirondelle, Elle fuit à tire d’aile, Mais revient toujours fidèle, A son nid, Sitôt que des hivers le grand froid est fini. L’homme, au gré de son envie, Errant promène sa vie Par le souvenir suivie De ces lieux Où sourit son enfance, où dorment ses...
Sais-tu qui je suis ? Le Rayon de Lune. Sais-tu d’où je viens ? Regarde là-haut. Ma mère est brillante, et la nuit est brune. Je rampe sous l’arbre et glisse sur l’eau ; Je m’étends sur l’herbe et cours sur la dune ; Je grimpe au mur noir, au tronc du bouleau, Comme...
Il est mort, lui, mon maître ; il est mort, et pourquoi ? Lui si bon, lui si grand, si bienveillant pour moi. Tu choisis donc, Seigneur, dans ce monde où nous sommes, Et pour nous les ravir, tu prends les plus grands hommes. C’est ainsi que l’on meurt, infirmes que...
Voici la corde d’un pendu Que je mets à vos pieds, Madame, C’est, pour une charmante femme, Un présent bien inattendu. Mais si, comme on l’a prétendu, Cette corde est un sûr dictame Pour les maux du corps et de l’âme, Gage d’un bonheur assidu ; Moi qui, plaignant le...
I Un lourd soleil tombait d’aplomb sur le lavoir ; Les canards engourdis s’endormaient dans la vase, Et l’air brûlait si fort qu’on s’attendait à voir Les arbres s’enflammer du sommet à la base. J’étais couché sur l’herbe auprès du vieux bateau Où des femmes lavaient...
Tout est muet, l'oiseau ne jette plus ses cris. La morne plaine est blanche au loin sous le ciel gris. Seuls, les grands corbeaux noirs, qui vont cherchant leurs proies, Fouillent du bec la neige et tachent sa pâleur. Voilà qu'à l'horizon s'élève une clameur ; Elle...
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix. Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte. Mais on entend parfois, comme une morne plainte, Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois. Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes....
La terre souriait au ciel bleu. L'herbe verte De gouttes de rosée était encor couverte. Tout chantait par le monde ainsi que dans mon cœur. Caché dans un buisson, quelque merle moqueur Sifflait. Me raillait-il ? Moi, je n'y songeais guère. Nos parents querellaient,...
Le rêve pour les uns serait d'avoir des ailes, De monter dans l'espace en poussant de grands cris, De prendre entre leurs doigts les souples hirondelles, Et de se perdre, au soir, dans les cieux assombris. D'autres voudraient pouvoir écraser des poitrines En refermant...
L'oiseleur Amour se promène Lorsque les coteaux sont fleuris, Fouillant les buissons et la plaine ; Et chaque soir sa cage est pleine Des petits oiseaux qu'il a pris. Aussitôt que la nuit s'efface Il vient, tend avec soin son fil, Jette la glu de place en place, Puis...