I

LA SAINTE CHAPELLE.

Tu sais ? tu connais ma chapelle, 
C’est la maison des passereaux. 
L’abeille aux offices m’appelle 
En bourdonnant dans les sureaux. 

Là, mon cœur prend sa nourriture. 
Dans ma stalle je vais m’asseoir. 
Oh ! quel bénitier, la nature !
Quel cierge, l’étoile du soir !

Là, je vais prier ; je m’enivre 
De l’idéal dans le réel ;
La fleur, c’est l’âme ; et je sens vivre 
À travers la terre, le ciel. 

Et la rosée est mon baptême, 
Et le vrai m’apparaît ! je crois. 
Je dis : viens ! à celle que j’aime ;
Elle, moi, Dieu, nous sommes trois.

(Car j’ai dans des bribes latines 
Lu que Dieu veut le nombre impair.) 
Je vais chez l’aurore à matines, 
Je vais à vêpres chez Vesper. 

La religion naturelle 
M’ouvre son livre où Job lisait, 
Où luit l’astre, où la sauterelle 
Saute de verset en verset. 

C’est le seul temple. Tout l’anime. 
Je veux Christ ; un rayon descend ;
Et si je demande un minime, 
L’infusoire me dit : Présent. 

La lumière est la sainte hostie ;
Le lévite est le lys vermeil ;
Là resplendit l’eucharistie 
Qu’on appelle aussi le soleil. 

La bouche de la primevère 
S’ouvre et reçoit le saint rayon ;
Je regarde la rose faire 
Sa première communion.

II

AMOUR DE L’EAU.

Je récite mon bréviaire 
Dans les champs, et j’ai pour souffleur 
Tantôt le jonc sur la rivière, 
Tantôt la mouche dans la fleur.


Le poëte aux torrents se plonge ;
Il aime un roc des vents battu ;
Ce qui coule ressemble au songe, 
Et ce qui lave à la vertu. 

Pas de ruisseau qui, sur sa rive 
Où l’air jase, où germinal rit, 
N’attire un bouvreuil, une grive, 
Un merle, un poëte, un esprit. 

Le poëte, assis sous l’yeuse, 
Dans les fleurs, comme en un sérail, 
Aime l’eau, cette paresseuse 
Qui fait un si profond travail. 

Que ce soit l’Erdre ou la Durance, 
Pourvu que le flot soit flâneur, 
Il se donne la transparence 
D’une rivière pour bonheur. 

Elle erre ; on dirait qu’elle écoute ;
Recevant de tout un tribut, 
Oubliant comme lui sa route, 
Et, comme lui, sachant son but. 

Et sur sa berge il mène en laisse 
Ode, roman, ou fabliau. 
George Sand a la Gargilesse 
Comme Horace avait l’Anio.

III

LE POÈTE EST UN RICHE.

Nous avons des bonnes fortunes 
Avec le bleuet dans les blés ;
Les halliers pleins de pâles lunes 
Sont nos appartements meublés. 

Nous y trouvons sous la ramée, 
Où chante un pinson, gai marmot, 
De l’eau, du vent, de la fumée, 
Tout le nécessaire, en un mot. 

Nous ne produirions rien qui vaille 
Sans l’ormeau, le frêne et le houx ;
L’air nous aide, et l’oiseau travaille 
À nos poëmes avec nous. 

Le pluvier, le geai, la colombe, 
Nous accueillent dans le buisson, 
Et plus d’un brin de mousse tombe 
De leur nid dans notre chanson. 

Nous habitons chez les pervenches 
Des chambres de fleurs, à crédit ;
Quand la fougère a, sous les branches, 
Une idée, elle nous la dit. 

L’autan, l’azur, le rameau frêle, 
Nous conseillent sur les hauteurs, 
Et jamais on n’a de querelle 
Avec ces collaborateurs.

Nous trouvons dans les eaux courantes 
Maint hémistiche, et les lacs verts, 
Les prés généreux, font des rentes 
De rimes à nos pauvres vers. 

Mon patrimoine est la chimère, 
Sillon riche, ayant pour engrais 
Les vérités, d’où vient Homère, 
Et les songes, d’où sort Segrais. 

Le poëte est propriétaire 
Des rayons, des parfums, des voix ;
C’est à ce songeur solitaire 
Qu’appartient l’écho dans les bois. 

Il est, dans le bleu, dans le rose, 
Millionnaire, étant joyeux ;
L’illusion étant la chose 
Que l’homme possède le mieux. 

C’est pour lui qu’un ver luisant rampe ;
C’est pour lui que, sous le bouleau, 
Le cheval de halage trempe 
Par moment sa corde dans l’eau. 

Sous la futaie où l’herbe est haute, 
Il est le maître du logis 
Autant que l’écureuil qui saute 
Dans les pins par l’aube rougis. 

Avec ses stances, il achète 
Au bon Dieu le nuage noir, 
L’astre, et le bruit de la clochette 
Mêlée aux feuillages le soir.

Il achète le feu de forge, 
L’écume des écueils grondants, 
Le cou gonflé du rouge-gorge 
Et les hymnes qui sont dedans. 

Il achète le vent qui râle, 
Les lichens du cloître détruit, 
Et l’effraction sépulcrale 
Du vitrail par l’oiseau de nuit. 

Et l’espace où les souffles errent, 
Et, quand hurlent les chiens méchants, 
L’effroi des moutons qui se serrent 
L’un contre l’autre dans les champs. 

Il achète la roue obscure 
Du char des songes dans l’horreur 
Du ciel sombre, où rit Épicure 
Et dont Horace est le doreur. 

Il achète les rocs incultes, 
Le mont chauve, et la quantité 
D’infini qui sort des tumultes 
D’un vaste branchage agité. 

Il achète tous ces murmures, 
Tout ce rêve, et, dans les taillis, 
L’écrasement des fraises mûres 
Sous les pieds nus d’Amaryllis. 

Il achète un cri d’alouette, 
Les diamants de l’arrosoir, 
L’herbe, l’ombre, et la silhouette 
Des danses autour du pressoir.

Jadis la naïade à Boccace 
Vendait le reflet d’un étang, 
Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse, 
Pour un sonnet, payé comptant. 

Le poëte est une hirondelle 
Qui sort des eaux, que l’air attend, 
Qui laisse parfois de son aile 
Tomber des larmes en chantant. 

L’or du genêt, l’or de la gerbe, 
Sont à lui ; le monde est son champ ;
Il est le possesseur superbe 
De tous les haillons du couchant. 

Le soir, quand luit la brume informe, 
Quand les brises dans les clartés 
Balancent une pourpre énorme 
De nuages déchiquetés, 

Quand les heures font leur descente 
Dans la nue où le jour passa, 
Il voit la strophe éblouissante,
Pendre à ce décroche-moi-ça. 

Maïa pour lui n’est pas défunte ;
Dans son vers, de pluie imbibé, 
Il met la prairie ; il emprunte 
Souvent de l’argent à Phœbé. 

Pour lui le vieux saule se creuse. 
Il a tout, aimer, croire et voir. 
Dans son âme mystérieuse 
Il agite un vague encensoir.

IV

NOTRE ANCIENNE DISPUTE.

Te souviens-tu qu’en l’âge tendre 
Où tu n’étais qu’un citadin, 
Tu me raillais toujours de prendre 
La nature pour mon jardin ?

Un jour, tu t’armas d’un air rogue, 
Et moi d’accents très convaincus, 
Et nous eûmes ce dialogue, 
Alterné, comme dans Moschus :

toi.

« Si tu fais ce qu’on te conseille, 
Tu n’iras point dans ce vallon 
Affronter l’aigreur de l’oseille 
Et l’épigramme du frelon. 

moi.

« J’irai.

toi.

La nature est morose 
Souvent, pour l’homme fourvoyé. 
Si l’on est baisé par la rose, 
Par l’épine on est tutoyé. 

moi.

« Soit. 

toi.

Paris à l’homme est propice. 
Perlet joue au Gymnase, vois, 
Ravignan prêche à Saint-Sulpice.

moi.

« Et la fauvette chante aux bois. 

toi.

« Que viens-tu faire dans ces plaines ?
On ne te connaît pas ici. 
Les bêtes parfois sont vilaines. 
L’herbe est parfois mauvaise ; ainsi 

« Crois-moi, n’en franchis point la porte. 
On n’y sait pas ton nom.

moi.

Pardon !
Vadius l’a dit au cloporte, 
Trissotin l’a dit au chardon. 

toi.

« Reste dans la ville où nous sommes, 
Car les champs ne sont pas meilleurs. 

moi.

« J’ai des ennemis chez les hommes. 
Je n’en ai point parmi les fleurs. »

V

CE JOUR-LÀ, TROUVAILLE DE L’ÉGLISE.

En ce même jour, jour insigne, 
Je trouvai ce temple humble et grand 
Dont Fénelon serait le cygne 
Et Voltaire le moineau franc.


Un moine, assis dans les coulisses, 
Aux papillons, grands et petits, 
Tâchait de vendre des calices 
Que l’églantier donnait gratis. 

Là, point d’orangers en livrée, 
Point de grenadiers alignés ;
Là, point d’ifs allant en soirée, 
Pas de buis, par Boileau peignés ;

Pas de lauriers dans des guérites ;
Mais, parmi les prés et les blés, 
Les paysannes marguerites 
Avec leurs bonnets étoiles. 

Temple où les fronts se rassérènent, 
Où se dissolvent les douleurs, 
Où toutes les vérités prennent 
La forme de toutes les fleurs !

C’est là qu’avril oppose au diable 
Au pape, aux enfers, aux satans, 
Cet alléluia formidable, 
L’éclat de rire du printemps. 

Oh ! la vraie église divine !
Au fond de tout il faisait jour. 
Une rose me dit : Devine. 
Et je lui répondis : Amour.

VI

L’HIVER.

L’autre mois pourtant, je dois dire 
Que nous ne fûmes point reçus ;
L’église avait cessé de rire ;
Un brouillard sombre était dessus ;

Plus d’oiseaux, plus de scarabées ;
Et par des bourbiers, noirs fossés, 
Par toutes les feuilles tombées, 
Par tous les rameaux hérissés,
 
Par l’eau qui détrempait l’argile, 
Nous trouvâmes barricadé 
Ce temple qu’eût aimé Virgile 
Et que n’eût point haï Vadé. 

On était au premier novembre. 
Un hibou, comme nous passions, 
Nous cria du fond de sa chambre :
Fermé pour réparations. 

Victor Hugo

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