Pour qui veut plonger dans l’univers verlainien, il faut prendre en compte les personnes qui l’ont entouré. Pour cela, le recueil Dédicaces sera parfait. Il compte un ensemble de 109 poèmes, tous dédiés à des connaissances du poète.

C’est un recueil à part dans l’œuvre de Verlaine, où il explore exclusivement la poésie d’hommage.

Dédicaces est un grand recueil de 109 poèmes de Paul Verlaine dédiés à ses amis, connaissances, influences, qu'il fait publier en 1890, et enrichir en 1894. Il s'agit d'un recueil où le poète paye son tribut à tous ceux envers qui il se sent redevable.

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Fait Intéressants sur Dédicaces

Pourquoi le titre : Dédicaces ?

Le titre du recueil Dédicaces de Paul Verlaine est transparent : il ne contient en effet que des poèmes qui sont des dédicaces, mises à part 4 ballades en ouverture et fermeture de recueil, les poèmes rendent hommage à différentes connaissances et inspirations poète.

Pourquoi le recueil Dédicaces vaut la peine d'être lu ?

Le recueil Dédicaces de Paul Verlaine est intéressant à lire car il est complètement différent de ce que propose habituellement ce poète. Loin de son art musical et asymétrique, on entre ici plutôt dans un ton solennel et respectueux, avec toutefois force humour.

Quels sont les thèmes du recueil Dédicaces ?

Le recueil Dédicaces de Paul Verlaine ne comprend qu'un seul thème, celui de l'éloge de différentes figures autour du poète. Mais quel traitement de ce thème ! C'est l'un des recueils les plus importants du poète, qui consacre 109 poèmes à ses amis et connaissances.

Texte Intégral de Dédicaces

Ballade touchant un point d’histoire

Assez qu’on — sinon plus qu’assez —
Déplore avec désinvolture, 
Les uns mes « désordres » passés, 
Les autres ma Noce ! future ; 
Mais tous joignent cette torture 
À leurs racontars déplaisants 
De me vieillir plus que nature : 
Je n’ai que quarante-trois ans.

J’ai mille vices, je le sais, 
Et connais leur nomenclature, 
Mais pas tous ceux qu’on a tracés. 
La pénible mésaventure !»
Va-t-il falloir que je l’endure ?
Oui, non sans maints ennuis cuisants. 
Or voici le cas de rupture : 
Je n’ai que quarante-trois ans.

J’aurai quelque jour un accès 
Contre cette littérature. 
Je jure alors, foi de Français ! 
De courre et nâvrer l’imposture, 
Fût-ce au fond de l’Estramadure 
Ou vers le pôle aux froids jusants. 
Dilemme : « Surcharge ou râture ! » 
Je n’ai que quarante-trois ans.

ENVOI

Princes du pouf et de l’ordure, 
Sachez-l’, échotiers maldisants 
Que tente une poigne encor dure, 
Je n'ai que quarante-trois ans.

Ballade en vue d’honorer les Parnassiens

Or on vivait en des temps fort affreux
Où la réclame était mal en avance.
Dans la bataille aux rimes plus d’un preux
Tout juste eut pour l’attaque et la défense
Quelque canard d’Artois ou de Provence ;
Mais Phœbus vint qui reconnut les siens
Et sut garder, vainqueurs, de toute offense
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

Bien que tenus un peu pour des lépreux,
Ne touchant guère en fait de redevance
Que tels petits écus des moins nombreux
Et l’amour et l’eau claire pour chevance
Unique avec la faim de connivence,
Tous, aussi bien les neufs que les anciens,
Ils marchaient droit dans la stricte observance,
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

C’étaient, après les Maîtres valeureux,
Ces pages fiers : Mendès en son enfance
Mais qui déjà portait des coups heureux,
— Ah lui ! ne l’eût oncques la rime en vance
Gêné du tout, voir celle en revance, —
Heredia, fleur des patriciens,
Dierx, Cazals, que leur nom pur devance,
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

ENVOI

Princes et rois « gardés de toute offense »,
Ai-je dit, l’un de ces miliciens,
Qu’à leurs santés boivent l’eau de Jouvence
Les chers, les bons, les braves Parnassiens.

À Jules Tellier

Quand je vous vois de face et penché sur un livre 
Vous m’avez l’air d’un loup qui serait un chrétien, 
Pardon, rectifiez : qui serait un païen, 
En tous cas d’un loup peu garou qui saurait vivre. 

Je vous vois de profil : un faune m’apparaît, 
Mais un faune sélect au complet sans reproche 
Avec, pour plus de chic, une main dans la poche 
Et promenant à pas distraits son vœu secret. 

Vu de dos, vous semblez un sage qui médite, 
À jamais affranchi des fureurs d’Aphrodite 
Et du soin de penser uniquement jaloux. 

Vu de loin, on vous veut de près à justes titres. 
Et, car la vie, hélas ! a de sombres chapitres. 
Quand je ne vous vois pas je me souviens de vous.

Au même

Ainsi je riais, fou, car la vie est folie !
Mais je ne savais pas non plus que tu mourrais. 
Moi malade et mourant presque (on eût dit exprès,
Sûr, mort, du cher tribut de ta mélancolie) 

Car tu m’aimas de sorte à ce qu’on ne l’oublie. 
Esprit et cœur enthousiastes toujours prêts 
À se manifester en quelques nobles traits… 
— Et c’est moi qui sur toi dis la triste lalie !

Hélas, hélas ! que tout soit ou semble discord 
En ce monde où qui donc a raison ou bien tort,
À ce qu’ « assure » une dure philosophie !

Mon ami, quelle soit la dispute ou la loi. 
Je reprends un de mes vers vrais à vous en vie :
Quand je ne te vois plus je me souviens de toi.

À François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, — et les gantières !
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Événements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant pas encore mort de la mort d’Athys !

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois.

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et, si je n’en bois pas plus, c’est pour des raisons.

À J.-K. Huysmans

Sa douceur n’est pas excessive, 
Elle existe, mais il faut la voir, 
Et c’est une laveuse au lavoir 
Tapant ferme et dru sur la lessive. 

Il la veut blanche et qui sente bon 
Et je crois qu’à force il l’aura telle. 
Mais point ne s’agit de bagatelle 
Et la tâche n’est pas d’un capon. 

Et combien méritoire son cas 
De soigner ton linge et sa détresse, 
Humanité, crasses et cacas ! 

Sans jamais d’insolite paresse, 
Ô douceur du plus fort des J.-K., 
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

À Stéphane Mallarmé

Des jeunes — c’est imprudent ! — 
Ont, dit-on, fait une liste 
Où vous passez symboliste. 
Symboliste ? Ce pendant 

Que d’autres, dans leur ardent 
Dégoût naïf ou fumiste 
Pour cette pauvre rime iste,
M’ont bombardé décadent. 

Soit ! Chacun de nous, en somme,
Se voit-il si bien nommé ?
Point ne suis tant enflammé 

Que ça vers les n…ymphes, comme 
Vous n’êtes pas mal armé 
Plus que Sully n’est Prud’homme.

À Jean Moréas

C’est le beau Jean Moréas 
Qui fait dire à l’échotier 
Que l’art périclite, hélas ! 
Aux mains d’un si tel routier.

Routier de l’époque insigne, 
Violant des villanelles 
Comme aussi, blancheurs de cygne ! 
Violant des péronnelles. 

Va-t’en, sonnet libertin, 
Fleurir de rimes gaillardes 
Ce chanteur et ce hutin, 

Migrateur emmi les bardes, 
Que suivent sur ses appels 
Tous les cœurs des archipels.

Laurent Tailhade

Le prêtre et sa chasuble énorme d’or jusques aux pieds 
Avec un long pan d’aube en guipures sur les degrés ; 
Le diacre et le sous-diacre aux dalmatiques chamarrées 
D’orerie et de perle à quelque Eldorado pillées ; 

Le Sang Réel par Qui toutes fautes sont expiées, 
Dans un calice clair comme des flammes mordorées ; 
L’autel tout fuselé sous six cierges démesurés, 
Et ces troublants Aynus Dei qu’on dirait pépies ; 

Et ces enfants de chœur plus beaux que rien qui soit au monde 
Leurs soutanettes écarlates, leurs surplis jolis, 
Et les lourds encensoirs bercés de leurs mains appalies ; 

Cependant que, poète au front royal sur tout haut front,
Laurent Tailhade, tels jadis Bivar, Sanche et Gomez, 
Érect, et beau chrétien, et beau cavalier, suit la messe.

À Villiers de l’Isle-Adam

Tu nous fuis comme fuit le soleil sous la mer 
Derrière un rideau lourd de pourpres léthargiques, 
Las d’avoir splendi seul sur les ombres tragiques 
De la terre sans verbe et de l’aveugle éther. 

Tu pars, âme chrétienne on m’a dit résignée 
Parce que tu savais que ton Dieu préparait 
Une fête enfin claire à ton cœur sans secret, 
Une amour toute flamme à ton amour ignée. 

Nous restons pour encore un peu de temps ici, 
Conservant ta mémoire en notre espoir transi,
Tels les mourants savourent l’huile du Saint-Chrême. 

Villiers, sois envié comme il aurait fallu 
Par tes frères impatients du jour suprême 
Où saluer en toi la gloire d’un élu.

Léon Bloy

Le Dogme certes, et la Loi, 
Mais Cliarité qui ne commence 
Ni ne finit, énorme, immense, 
Telle est la foi de Léon Bloy. 

Un Abel mais un saint Éloi : 
Enclume et marteau sans clémence, 
La raison jusqu’à la démence, 
Telle est la foi de Léon Bloy. 

Une tête féroce et douce, 
Très extraordinairement 
Un peu va comme je te pousse ; 

Un génie horrible et charmant, 
Et tout l’être et tout le paraître 
D’un mauvais moine et d’un bon prêtre.

À Raoul Ponchon

Vous aviez des cheveux terriblement ; 
Moi je ramenais désespérément ; 
Quinze ans se sont passés, nous sommes chauves 
Avec, à tous crins, des barbes de fauves. 

La Barbe est une erreur de ces temps-ci 
Que nous voulons bien partager aussi ; 
Mais l’idéal serait des coups de sabres 
Ou même de rasoirs nous faisant glabres.

Voyez de Banville, et voyez Lecon-
Te de Lisle, et tôt pratiquons leur con-
Duite et soyons, tels ces deux preux, nature. 

Et quand dans Paris, tels que ces deux preux, 
Nous irons, fleurant de littérature. 
Le peuple, ébloui, nous prendra pour eux.

A.-F. Cazals

Adonis expirant sur des fleurs n’est pas lui. 
Narcisse en fleur changé non plus, non plus Arbate 
Triste de ne rimer qu’à peine à Mithridale, 
Et non plus rien qui nous rappellerait l’ennui. 

Au contraire, les chagrins qui nous auraient nui, 
Littéral Arlequin, il les bat de sa batte 
Comme un Pierrot, et ça n’a rien qui nous épate, 
Attendu que le rire en ses yeux bruns a lui. 

Décoratif à sa façon — sinon la bonne, 
C’est la meilleure, — il n’a le cachet de personne 
Ni personne le sien, ô réciprocité ! 

Le roi des bons enfants et la pire des gales, 
Car que de vices, las ! aux noirceurs sans égales : 
Jeunesse, esprit, gaîté, bonté, simplicité !

À Germain Nouveau

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine, 
Que nous nous sommes vus pour la première fois, 
Et, dans King’s Cross mêlant ferrailles, pas et voix, 
Reconnus dès l’abord sur notre bonne mine. 

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine, 
De nous précipiter, dès libres des convois. 
Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,
Où de longues misses plus blanches que l’hermine 

Font couler l’aie et le bitter dans l’étain clair 
Et le cristal chanteur et léger comme l’air, 
— Et de boire sans soif à l’amitié future ! 

Notre toast a tenu sa promesse. Voici 
Que, vieillis quelque peu depuis cette aventure, 
Nous n’avons ni le cœur ni le coude transit.

Maurice Bouchor

Il s’appelle Maurice ainsi que ce soldat. 
Et se nomme Bouchor comme saint Bouche d’or. 
Soldat du rire franc, saint, sinon point encor, 
Du moins religieux d’esprit sinon d’état. 

Chaque effort de son œuvre acclame bien sa date 
Et, sous ses deux patrons, ce qu’en outre elle arbore 
C’est bien la bonne foi sortant par chaque pore 
Et l’amour du métier que chaque heure constate. 

Jeunesse folle bien, extravagante au point : 
Tel un page sa dame au cœur, sa dague au poing, 
Bondissant, comme hennissant, s’il meurt, tant pis ! 

Âge d’homme pensif et profond dont témoigne 
On dirait, l’on dirait, sonnée à pleine poigne, 
La tour changée en nourrice de Saint-Sulpice.

Henry d’Argis

Érudit, graphologue est presque nécromant, 
Pourtant il est aimable et si mal redoutable 
Qu’il fait belle et digne figure au bal, à table, 
Au jeu, partout, à ce qu’on dit, et l’on ne ment. 

Ce sage aime la Femme, et qui croit qu’il a tort ? 
Pour lui plaire, ou plutôt pour se plaire à soi-même, 
Si j’en crois mes auteurs, il prend un soin suprême 
D’être élégant sans rien qui se sente un seul effort. 

Agile, souple, interrogant, c’est un vainqueur. 
Son cœur a de l’esprit comme quatre, et sa tête 
Est bonne comme un cœur, bien que tête d’esthète,

Et que son cœur soit bête ainsi que tout bon cœur. 
Ermite à deux, parmi chienne et chien chat et chatte, 
Il vit, l’été comme l’hiver, à la Grand’Jatte.

À Ernest Raynaud

Nous sommes tous les deux des moitiés d’Ardennais, 
Moi plus foncé que vous, — dirai-je plus sauvage ? 
Procédant des Forêts quand vous de ce Vallage 
Doux et frisque qu’aussi bien que je vous connais. 

Il y a peu de temps qu’encor j’y promenais, 
Vous le savez, mon goût de son clair paysage,
Poussant les choses jusqu’à nous mettre en ménage, 
Mon rêve et moi, là-bas, paysans désormais. 

Faut croire que là-bas j’offensai quelque fée, 
Car m’en voilà parti plus tôt que de saison 
Après avoir vendu mon clos et ma maison. 

Aussi combien en vous j’adore, retrouvée 
Parmi ces gens que nos airs francs font ébahis, 
La bonne humanité de ce brave pays.

Raymond de La Tailhède

Un jour que la nature avait fuit de bons rêves, 
Elle vit s’éveiller Raymond de la Tailhède 
Aux bords où, pour charmer l’ennui des heures brèves, 
Le joyeux troubadour procède de l’aède.

Pâle implacablement avec des fois la rose, 
Sur la joue et le front, de vingt ans pas encore, 
Et, séduisante aussi par-dessus toute chose, 
Cette vivacité, mercure, éther, phosphore ! 

Petit, ainsi qu’il sied à ces futurs grands hommes,
Mais si haut de mépris pour le siècle où nous sommes 
Qu’il évoque Éliogabale, qu’il l’assume 

Et qu’il l’incarne, en haine de l’heure mauvaise, 
Absolument indifférent à la coutume, 
D’ailleurs correct et gentleman à la française.

À Armand Silvestre

La grande Sand porta sur les fonds baptismaux
Votre muse robuste et saine et, bonne fée, 
Vous prédit le génie et l’œuvre d’un Orphée 
Charmant l’homme et la femme et jusqu’aux animaux, 

Jusqu’au serpent, jusqu’à l’oiseau sur les rameaux. 
Et vous, pour faire bien la parole prouvée, 
Vous avez remporté ce double cher trophée : 
Belle ampleur de l’idée en l’aime ampleur des mots. 

Vos livres sont un don même de la nature, 
Tant il fait bon les lire et les relire, ainsi 
Qu’on respire et respire une atmosphère pure. 

Vos livres ! où l’amour qu’il faut, jamais transi, 
Toujours sincère, éclate en vives splendeurs franches, 
Puis où le mâle au fond qu’on est prend ses revanches.

Fernand L’Anglois

Haut comme le soleil, pâle comme la lune, 
Comme dit vaguement le proverbe espagnol, 
Il a presque la voix tendre du rossignol, 
Tant son cœur fut clément à ma triste fortune.

Je l’écoute toujours, cette voix opportune 
Qui me parlait naguère, est-ce en ut, est-ce en sol ? 
Et qui sut relever, furieux sur le sol,
Mon cœur, cœur sauvage et fou de roi de Thune ! 

Mais rions ! car mon livre est un livre amusant,
Et dès lors que ce souvenir doux et cuisant 
D’un suicide prévenu de mains pieuses 

Me remonte ce soir, peut-être pire encor 
Dans un absurde et vraiment sinistre décor,
Paix-là, pour ces mains-là, mes mains calamiteuses !

À Irénée Decroix

Où sont les nuits de grands chemins aux chants bachiques 
Dans les Nords noirs et dans les verts Pas-de-Calais, 
Et les canaux périculeux vers les Belgiques 
Où, gris, on chavirait on hurlant des couplets ? 

Car on riait dans ces temps-là. Tuiles et briques 
Poudroyaient par la plaine en hameaux assez laids ; 
Les fourbouyères, leurs pipes et leurs bourriques 
Dévalaient sur Arras, la ville aux toits follets 

Poignardant, espagnols, ces ciels épais du Flandre ; 
Douai brandissait de son côté, pour s’en défendre, 
Son lourd beffroi carré, si léger cependant ; 

Lille et sa bière et ses moulins à vent sans nombre 
Bruissaient. — Oui, qui nous rendra, cher ami, l’ombre 
Des bonnes nuits, et les beaux Jours au rire ardent ?

À George Bonnamour

J’étais malade de regrets, de quels regrets ! 
Toute ma bonne foi pleurait d’une méprise. 
Mon corps qui fut naguère fort, si faible après 
Agonisait presque, comme un tigre agonise. 

Ma face dure aux poils fauves de barbe grise 
Suait froid, mes yeux clos se rejoignaient trop près, 
D’affreux hoquets me secouaient sous ma chemise 
Et mes membres s’alignaient, à la mort tout prêts. 

Puis il fallut manger et boire. Comment faire ? 
Mais vous vous trouviez là qui me tendiez mon verre 
Et découpiez ma chère et me teniez le front. 

Et, tout en écoutant, pieux, ma juste plainte, 
La consolant parfois d’un mot franc dit sans crainte, 
Berciez l’enfant qu’est moi des beaux jours qui seront.

À Paterne Berrichon

Tous deux avons ce travers 
De raffoler des bons vers 
Et d’aimer notre repos. 

Aussi tout, jusqu’aux hasards, 
Punit sur nos tristes peaux 
Ces principes de lézards. 

Alors parfois nos rancunes, 
Ne connaissant plus d’obstacles, 
Œuvrent sans mercis aucunes, 
Toutes sortes de miracles ; 

Si que le pante morose 
S’indigne que, mal civile, 
La muse métamorphose 
Le lézard en crocodile.

À Gabriel Échaupre

Votre grand-père des temps chauds, l’honnête Pache, 
Fut un républicain sérieux, simple et franc. 
Il méprisa l’argent, abomina le sang 
Et mourut vénéré, pur de la moindre tache. 

Nous sommes en des jours autres où l’on s’attache 
Au positif ainsi qu’un abcès sur un flanc, 
Où le bleu comme le rouge et comme le blanc, 
Tous tirent tes pis, notre France, bonne vache ? 

Hélas ! France, Patrie, ô vivre et voir cela ! 
Mais votre cœur loyal bientôt se rebella 
Contre la manigance actuelle, un mystère 

De sottise méchante, et fier, se donna tout 
Aux Lettres, comprimant son civique dégoût ; 
Et vous mourrez très bien, comme votre grand-père.

Au docteur Guilland

Dans ce mien voyage de cure, 
En dépit de Joanne et de Chaix 
Je n’ai rien vu d’Aix-les-Bains qu’Aix 
Pur, nature, sans fioriture. 

Lent, grave figure d’augure, 
J’allais comparable à tel ex-
Boyard qu’entortille un vortex 
De mainte et mainte couverture. 

La douche, le lit, trois repas, 
Furent le régime sévère 
Que nous suivîmes pas à pas, 

L’arthrite et moi dans cette affaire, 
Pour, cher Docteur, hâter, normal 
Mon rétablissement thermal.

À Louis et Jean Jullien

Savantissimo Doctori 
Bonissimoque Scriptori, 
Au frère et puis encore au frère 

Ce sont les jambes en l’air 
Qui commence à chanter son air 
En pur latin de feu Molière ! 

Ce sonnet pour dire à tous deux 
Sur un ton badin mais sincère 
Que je les aime bien et serre 
Leurs loyales mains à tous deux. 

Louis, malgré le sort contraire, 
Salut à vous qui guérissez, 
À vous aussi qui punissez 
L’ordre bourgeois, Jean, mon confrère.

À Émile Le Brun

Dans le gâchis de l’an dernier 
Nous fûmes, — osons le nier — 
Vous, parlementaire, qu’atroce ! 
Moi, boulangiste, ô si féroce ! 

Or, ne pouvant rouler carrosse,
L’un et l’autre enfourchant sa rosse, 
Inutile de le nier,
Chacun arriva bon dernier. 

Mais qu’importe la politique,
Puisque ferme et même pratique, 
L’affection chassa l’assaut ? 

Malgré ces « convictions » denses. 
Ami des fortes conlldences ; 
Vous en vouloir, moi ? Quel sot !

À Henri Mercier

Il nous sied de remercier 
Sur tous les tons de tous les modes 
Ballades, sonnets, stances, odes, 
Le sage, le juste Mercier. 

Car quelle guerre à l’Épicier 
Qui trouve ses us incommodes. 
Et les truculentes méthodes, 
En l’honneur de quels besaciers ? 

Puis il va, doux Portlios physique 
Et subtil Aramis moral, 
De la peinture à la musique. 

Noctambule mais auroral,
Prince des vers et de la prose 
Et bath ami sur toute chose.

À Adrien Remacle

Votre femme chantait délicieusement 
De très anciens vers miens par vous mis en musique 
— Vers sans grande portée idéale ou physique, 
Mais que la voix était exquise et l’air charmant ! 

Si bien que j’entrais dans un grand étonnement, 
Moi le lassé qui rêve d’être un ironique, 
D’ainsi revivre sensuel et platonique. 
Quoi, sensuel ? Vraiment ? Platonique ? Comment ? 

Ah ! quand jeune j’étais ainsi ! Tiens tiens. Possible. 
Après tout. Oui, rêvasseur et mauvais sujet. 
Ma tête alors désirait et ma chair songeait. 

Mais j’admire, moi le blasé (mais l’impassible, 
Non !) j’admire combien la sympathie et l’art 
Évoquèrent l’enfant — presque au quasi-vieillard.

À Armand Sinval

Habitant de ces chers confins de la Bastille, 
Où je fus trop heureux et puis trop malheureux, 
Battant monnaie ici, là faisant buisson creux 
Et passant (c’est le mot) de l’Amer à la Fille, 

— Tous accrocs et raccrocs dont mon dossier fourmille ! —
Ami dans ces quartiers, moi qui bercé par eux, 
Berné par eux d’amours bizarres et d’affreux 
Guignons, leur garde comme un regret de famille, 

Je vous prie instamment, du fond de ce Broussais, 
Un hôpital sis à Plaisance où le poète 
Vit, caressé par l’ombre du drapeau français,

De porter mon bonjour et mon baiser de fête 
À ce mien passé d’or vanné représenté 
Par un Génie en l’air, misère et liberté !

À Charles de Sivry

Artiste, toi, jusqu’au fantastique, 
Poète, moi, jusqu’à la bêtise, 
Nous voilà, la barbe à moitié grise, 
Moi fou de vers et toi de musique. 

Nous voilà, non sans quelques travaux. 
Riches, moi de l’eau de l’Hippocrène, 
Quand toi des chansons de la Sirène, 
Mûrs pour la gloire et ses échafauds. 

Bah ! nous aurons eu notre plaisir 
Qui n’est pas celui de tout le monde 
Et le loisir de notre désir. 

Aussi bénissons la paix profonde 
Qu’à défaut d’un trésor moins subtil 
Nous donnèrent ces ainsi soit-il.

À Charles Vesseron

Dans nos savoureuses Ardennes 
Où je fis le mal et le bien,
Ici, mortifié, chrétien,
Là, perpétrant quelles fredaines !

J’ai, par le cours aventureux 
De mes mérites… et du reste,
Coulé, d’un flot léger et leste,
Quelques jours tout de même heureux.

Je tais ma paix chaste et profonde 
Et je jette un voile séant 
Sur mes horreurs de mécréant. 

Mais notre amitié toute ronde, 
Vaut un los sur un rythme net, 
Et j’express exprès ce sonnet.

À Gabriel Vicaire

Vous êtes un mystique et j’en suis un aussi : 
Mais vous léger, charmant, on dirait du Shakespeare, 
Moi pas mal sombre, un Dante imperceptible et pire 
Avec un reste, au fond, de pêcheur mal transi. 

Je suis un sensuel, vous en êtes un autre : 
Mais vous gentil, rieur, un Gaulois et demi, 
Moi l’ombre du marquis de Sade, et ce, parmi 
Parfois des airs naïfs et faux de bon apôtre,

Plaignez-moi, car je suis mauvais et non méchant, 
Puis, tel vous, j’aime la danse et j’aime le chant,
Toutes raisons pour ne plus m’en vouloir qu’à peine.

Et puis j’aime ! Tout court ! En masse, en général, 
Depuis la fille amère au souris sépulcral 
Jusqu’à Dieu tout-puissant dont la droite nous mène !

À Émile Blémont

La vindicte bourgeoise assassinait mon nom
Chinoisement, à coups d’épingle, quelle affaire !
Et la tempête allait plus âpre dans mon verre.
D’ailleurs du seul grief, Dieu bravé, pas un non,

Pas un oui, pas un mot ! L’Opinion sévère
Mais juste s’en moquait autant qu’une guenon
De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon,
Le Public, mâchonnait ma gloire… encore à faire.

L’heure était tentatrice, et plusieurs d’entre ceux
Qui m’aimaient, en dépit de Prudhomme complice,
Tournèrent carrément, furent de mon supplice,

Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux.
Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,
Fidèle : et dans un cœur bien fait cela se grave. 

À Emmanuel Chabrier

Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi,
Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,
Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles,
Passait l’Ecce deus et le Je ne sais quoi.

Chez ma mère charmante et divinement bonne,
Votre génie improvisait au piano,
Et c’était tout autour comme un brûlant anneau
De sympathie et d’aise aimable qui rayonne.

Hélas ! ma mère est morte et l’ami cher est mort.
Et me voici semblable au chrétien près du port,
Qui surveille les tout derniers écueils du monde,

Non toutefois sans saluer à l’horizon
Comme une voile sur le large au blanc frisson,
Le souvenir des frais instants de paix profonde.

À Ernest Delahaye

Dieu, nous voulant amis parfaits, nous fit tous doux 
Gais de cette gaîté qui rit pour elle-même,
De ce rire absolu, colossal et suprême 
Qui s’esclaffe de tous et ne blesse aucun d’eux. 

Tous deux nous ignorons l’égoïsme hideux 
Qui nargue ce prochain même qu’il faut qu’on aime 
Comme soi-même : tels les termes du problème,
Telle la loi totale au texte non douteux :

Et notre rire étant celui de l’innocence,
Il éclate et rugit dans la toute-puissance 
D’un bon orage plein de lumière et d’air frais. 

Pour le soin du Salut, qui me pique et m’inspire. 
J’estime que, parmi nos façons d’être prêts,
Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire.

À Maurice du Plessys

Jo vous prends à témoin entre tous mes amis,
Vous qui m’avez connu dès l’extrême infortune,
Que je fus digne d’elle, à Dieu seul tout soumis,
Sans criard désespoir ni jactance importune,

Simple dans mon mépris pour des revanches viles 
Et dans l’immense effort en détournant leurs coups,
Calme à travers ces sortes de guerres civiles 
Où la Faim et l’Honneur eurent leurs torts jaloux,

Et, n’est-ce pas, bon juge, et fier ! mon du Plessys,
Qu’en l’amer combat que la gloire revendique,
L’Honneur a triomphé de sorte magnifique ?

Aimez-moi donc, aimez, quels que soient les soucis 
Plissant parfois mon front et crispant mon sourire,
Ma haute pauvreté plus chère qu’un empire.

À Charles Morice

Impérial, royal, sacerdotal, comme une
République Française en ce Quatre-vingt-treize
Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise,
Avec la danse, autour, de la grande Commune ;

L'étudiant et sa guitare et sa fortune
À travers les décors d'une Espagne mauvaise
Mais blanche de pieds nains et noire d'yeux de braise,
Héroïque au soleil et folle sous la lune ;

Néoptolème, âme charmante et chaste tête,
Dont je serais en même temps le Philoctète
Au cœur ulcéré plus encor que sa blessure,

Et, pour un conseil froid et bon parfois, l'Ulysse ;
Artiste pur, poète où la gloire s'assure ;
Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice ! 

À Edmond Thomas

Mon ami, vous m’avez, quoique encore si jeune,
Vu déjà bien divers, mais ondoyant jamais,
Direct et bref, oui : tels les Juins suivent les Mais,
Ou comme un affamé de la veille déjeune. 

Homme de primesaut et d’excès, je le suis,
D’aventure et d’erreur, allons, je le concède,
Soit, bien ; mais illogique ou mol ou lâche ou tiède 
En quoi que ce soit, le dire je ne le puis,

Je ne le dois ! Et ce serait le plus impie 
Péché contre le Saint-Esprit, que rien n’expie,
Pour ma foi que l’amour éclaire de son feu,

Et pour mon cœur d’or pur le mensonge suprême,
Puisqu’il n’est de justice, après l’Église et Dieu,
Que celle qu’on se fait, à confesse, à soi-même.

À mes amis de là-bas

Gens de la paisible Hollande 
Qu’un instant ma voix vint troubler 
Sans trop, j’espère, d’ire grande 

De votre part, voulant parler 
À vos esprits que la nature 
Fit calmes pour mieux y mêler 

L’enthousiasme et la foi pure 
Et l’idéal fou de réel 
Et la raison et l’aventure 

De sorte équitable, — ô le ciel 
Non plus brumeux, mais de par l’ombre 
Même, et l’éclat essentiel,

Ô le ciel aux teintes sans nombre
Qu’opalisent l’ombre et l’éclat
De votre art clair ensemble et sombre,

Ciel dont il fallait que parlât
La gratitude encor des races,
Et dont il fallait que perlât

Cette douceur vraiment mystique
Et crue aussi vraiment qui rend
Rêveuse notre âpre critique,

Ô votre ciel, fils de Rembrandt !

Quatorzain pour tous

Ô mes contemporains du sexe fort, 
Je vous méprise et contemne point peu. 
Même il en est que je déteste à mort 
Et que je hais d’une haine de dieu. 

Vous êtes laids moi compris au-delà 
De toute expression, et bêtes, moi 
Compris, comme il n’est pas permis : c’est la 
Pire peine à mon cœur, et son émoi 

De ne pouvoir être (ni vous non plus) 
Intelligent et beau pour rire ainsi 
Qu’il sied, du choix qui me rend cramoisi 

Et pour pleurer que parmi tant d’élus 
À faire, ces messieurs aient entre tous 
Pris Brunetière. Ô les topinambous !!

Quatorzain pour toutes

Ô femmes, je vous aime toutes, là, c’est dit !
N’allez pas me taxer d’audace ou d’imposture. 
Raffolant de la blonde douce et de la dure 
Brune et de la virginité bête un petit

Mais si gente et si prompte à se déniaiser,
Comme aussi de l’aime maturité (que vicieuse !
Mais susceptible d’un grand cœur et si joyeuse 
D’un sourire et savourant, lente, un long baiser).

Toutes, oui, je vous aime, oui, femmes, je vous aime 
— Excepté si par trop laides ou vieilles, dam !
Alors je vous vénère ou vous plains. Je vais même 

Jusqu’à me voir féru, parfois à mon grand dam, 
D’une inconnue un peu vulgaire, rencontrée 
Au coin… non pas d’un bois sacré ! qui m’est sucrée.

À G…

Tu m’as plu par ta joliesse 
Et ta folle frivolité. 
J’aime tes yeux pour leur liesse 
Et ton corps pour sa vénusté. 

Mais j’ai détesté tout de suite 
La gourmandise de ta chair. 
J’abhorre ton besoin de cuite 
(Non pas celui qui m’est si cher,

Le besoin d’être avec cet homme 
Encore vert qui serait moi),
J’abomine pour parler comme 
Il faut, ton goût pour trop d’émoi 

Joyeux, gamin, charmant sans doute…
Au fait, j’y pense, je suis vieux 
Tant (cinquante ans !) et t’es en route 
Pour tes dix-huit ans… pauvre vieux !

Encore pour G…

Oui, gamine bonne, je t’aime 
Et ce sera mon plus cher thème 
D’instinct non moins que de système.

Oui, certes, ô gamine bonne !
Je ne suis docteur en Sorbonne 
Non plus que riche ou beau, friponne. 

Mes amours ne sont enragées 
Et mes passions sont rangées 
Comme une boîte de dragées. 

Et devant être et voulant être 
Raisonnable et pur comme un prêtre 
Sérieux, je ne suis le maître,

Las ! de mon cœur qui t’aime, bonne 
Gamine ô que si bien friponne !
Et si peu docteur en Sorbonne !

Et je m’ennuie, — ainsi la pluie 
Et je me pleure et je m’essuie 
Les yeux parce que je m’ennuie

Parce que je suis vieux et parce que je t’aime.

Pour S…

Or j’adore une chaste Suzanne 
Dont je serais l’un et l’autre vieillard 
Et pour qui donc je brairais comme un âne,
Si n’était par trop chaste ma Suzanne,

Elle rieuse, que non pas ! grasse à lard ?
Mais non plus à l’excès diaphane 
Et je serais heureux sans coq-à-l’âne,
Si ne m’était trop chaste ma Suzanne 

Et je le dirai tout doucement 
Qu’il faudra bien vite oublier ton amant 
Fût-ce moi-même, ô chose invraisemblable !

Et je serais alors le plus heureux 
Non pas des trois mais que plutôt des deux 
Et ce ne serait pas déjà le diable !

Chanson pour L…

« Enfin, après deux ans, je te revois » — et t’aime
Pour de bon cette fois,
À cause de ton corps d’abord, et surtout même,
En raison de ta voix 

Si bonne et si calmante et qui dicte des choses 
Paisibles à mon cœur 
Un peu cruel mais doux au fond telles aux roses 
Les épines et, sœur 

Presque aimée à cause de la génie sagesse 
À travers tant et tant 
De gaieté polissonne, et de cette largesse 
D’un cœur pourtant prudent, 

Que ton cœur et mon cœur règnent donc sans conteste 
Sus notre vie à tous 
Les deux — et dès ce soir (ô jour, je te déteste !) 
Soyons-nous bons et doux !

À ...

Ton cœur est plus grand que le mien 
Mais le mien peut-être est plus tendre 
Qui ne sait que ne pas attendre, 
Tant il serait jaloux du tien, 

Si je m’étais sûr de la foi 
Qu’il faut, chère, que (je te prête), pauvre, 
Et que riche, je donne en tout aloi 
Bon et meilleur ou pire, en vrai poète. 

Mon cœur est moins grand que le tien 
Mais le tien peut-être est moins vaste 
Qui n’aime guère que le faste 
D’être aimé du mien, et fait bien.

Le pinson d’E...

C’est très miraculeux : ce pinson si joli 
Qui sautillait d’un air attentif et poli 
Tout au bout des barreaux, prêtant sa tête fine 
À ma bouche lui sifflant l’air de la Czarine,
Il n’est plus ! Le voici sans souffle désormais. 
Il avait bien souffert, autant que tu l’aimais !
Maussade, hélas ! et symptôme bien pire encore,
Immobile et muet dans la cage sonore 
Du pépiement des autres « hôtes de nos bois »
Et vibrante Dieu sait comme de leurs émois,
De leurs ébats plus fous que les jeux de la houle. 
Il s’était accroupi, se contournant en boule,
La tête sous son aile, ayant l’air de dormir,
Et tu gardais l’espoir, cessant de trop gémir,
De le croire en effet endormi… La nuit sombre 
Vint, qui nous consola quoique peu. Mais quand l’ombre 
Se dissipa, cédant, Soleil, à ton effort,
La vérité nous apparut : il était mort !
Tu reculas d’horreur malgré tout ton courage 
Ordinaire, et n’osais le sortir de la cage. 
J’accomplis en ton lieu ce douloureux devoir, 
Et toi, dépliant en silence un vieux « Chat noir », 
Le replias sur le petit cadavre avec des larmes, 
Linceul approprié, symbole non sans charmes ! 
Nous débattîmes un long temps l’heure et le lieu 
Où rendre les derniers honneurs au petit dieu. 
Tout à coup tu pris ton panier déjà célèbre 
Et partis sans me prévenir du lieu funèbre 
Destiné dans ton cœur à l’enterrement dû, 
Emportant en ce « char » l’oiseau, bien entendu. 
Quand tu revins, t’avais l’air fier et plein de grâce 
De quelqu’un ayant fait, sans bruit et sans grimace, 
Ce qu’on peut appeler une grande action : 
« Je l’ai jeté dans les caveaux du Panthéon ! » 
T’écrias-tu, — puis, car la femme est toujours femme, 
Et les yeux éteignant soudain leur sombre flamme, 
Tu repris, et cela me parut aussi beau : 
« Il aurait peut-être mieux fait sur mon chapeau ! »

À E…

Ô toi chaude comme l’enfer,
Ô toi, froide comme l’hiver,
Douce et dure, on dirait du fer 
Et de la mousse,

Dure et douce comme la mousse 
Et le fer, si dure et si douce,
Va ! sois toi-même ! Un vent te pousse. 
Veut de printemps 

Et vent d’automne, et tant d’autans 
Et de zéphirs sont palpitants, 
Dans tes grands yeux mahométans 
De catholique 

Que j’en reste mélancolique 
Et joyeux, et sans plus d’oblique 
Madrigal, je t’aime !
Ô réplique,
Diable angélique.

À E… pour ses étrennes

Je méprise, vrai ! ces vers-ci 
Mais j’aime le sujet d’iceux, 
Les vers sont-ils tendres ou pisseux ? 
Mais le sujet est réussi. 

Mais j’idolâtre, au fond, ces vers 
— Parce qu’ils figurent mon âme 
Pisseuse ou tendre — à telle dame 
Sur un fond candide ou pervers. 

Et ces vers pervers ou candides 
Seront le témoignage, au fond, 
De choix qui viennent et qui vont 

Et finissent d’après d’avides,
D’avidement cruels désirs 
Et tout ! par être moins perfides.

À ...

Mauvaise, criarde, et ça vaut mieux 
Qu’en somme bavarde et muette. 
Or tel est le vœu de ce poète,
De ce poète criard, bavard et vieux.

Ce poète, bavard et curieux,
Amoureux avant tout de sa tête 
Et de ses émotions d’esthète,
Se creuse sa tête d’envieux,

D’envieux plutôt d’être tranquille 
Comme un naufragé nageant vers l’île 
Où se sécher des flots furieux… 

Et comme il se cramponne, le poète. 
Avec son bagage lâché d’esthète 
À cette mauvaise criarde, et ça vaut mieux !

À la même

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne,
Très sobre de paroles dures vraiment 
Et votre verbe est un pur liniment 
Toute eu voyelles sans la moindre consonne.

C’est la cause pourquoi je vous pardonne 
Quelque vivacité dite éventuellement 
Et sûrement dans le juste moment 
Où je la mérite, et parlant à ma personne. 

Car vous êtes franche et ce m’est doux 
Dans ce monde vil et surtout jaloux 
De ramper autour de quelqu’un pour le tromper 

Et c’est très bien ça, ma si chère amie,
Et je vous en estime (et ne mens mie) 
Et je t’en aime mieux encor de ne pas me tromper.

Pour la même

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite 
À rebours ou c’est une folle ou, mieux,
Une sotte en cinq lettres, mais de vieux 
Jeu, trop Second Empire, — et qui s’effrite.

Car jeune elle est très loin de l’être encor 
Et la date de sa naissance est un trésor 
De suppositions contradictoires. 
Cela ne ferait rien sans doute au cas présent 

Moi n’étant plus non plus l’adolescent 
Épris de sa cousine, lys ! ivoires ! 
Mais surtout elle est sotte, démérite 

Pire à mes yeux que tous maux sous les cieux 
Et, tort non moindre en surplus à mes yeux, 
Elle a le don qui fait que je m’irrite.

À une dame qui partait pour la Colombie

Notre-Dame de Santa Fé de Bogota 
Qui vous apprêtez à faire le tour de ce monde,
Or, mon émotion serait par trop profonde 
Dans le chagrin réel dont mon cœur éclata 

À la nouvelle de ce départ déplorable 
Si je n’avais l’orgueil de vous avoir, à ta-
Ble d’hôte, vue ainsi que tel ou tel rasta 
Et de vous devoir ce sonnet point admirable. 

Hélas ! assez, mais que voici de tout mon cœur 
Tel que je l’ai conçu dans un rêve vainqueur 
Dont, hélas ! je reviens avec le bruit qui grise 

D’un tambourin, bruyant sans doute mais gentil 
D’être, grâce à votre talent de femme exquise-
Ment amusante, décoré d’un doigt subtil.

À E... I

I

Lorsque nous allons chez Vanier 
Dans des buts peu problématiques, 
Tu portes un petit panier 
Moins plein d’objets aromatiques, 

Persil, cerfeuil, ès-authentiques 
Torsades d’un savant vannier 
Et tels bouquins pour les boutiques 
Que le Quai ne peut renier,

Moins plein, dis-je, de toutes choses 
Que de ceci : soucis moroses, 
Querelles affreuses, raisons 

Mauvaises, à jeter en Seine, 
Si qu’au retour, sans plus de scène,
Tout bonnement nous nous baisons.

II

Il est mort le petit panier !
Je l’ai détruit lors d’une scène. 
Irons-nous encor chez Vanier ?
Il est mort le petit panier !
Dire que ton œuvre, vannier,
Je l’ai tuée au bord de Seine. 
Il est mort le petit panier !
Je l’ai détruit lors d’une scène. 

Je ne suis pas trop fier, vraiment. 
De ça qui n’est pas mon chef-d’œuvre,
Tant s’en faut, je le dis crûment. 
Je ne suis pas trop fier, vraiment,

Et même un remords véhément,
Me mord ainsi qu’une couleuvre. 
Je ne suis pas trop fier, vraiment,
De ça qui n’est pas mon chef-d’œuvre. 

Heureusement il est un dieu 
Pour ceux que la… colère enivre. 
Et ce dieu-là n’est pas un pieu. 
Heureusement il est un dieu 
Qui t’inspirait. Après l’adieu 
Dit, que ce gage dût revivre. 
Heureusement il est un dieu 
Pour ceux que la… colère enivre. 

Et, comme autrefois le phénix,
Il reparaît beau, vaste même,
Disant à l’âpre Parque : Nix !
Et, comme autrefois le phénix,
Le revoici, d’après un X 
Où tel pipo perd son barême. 
Oui, comme autrefois le phénix,
Il reparaît beau, vaste même. 

Nous irons encor chez Vanier 
Dans des buts peu problématiques. 
Encor qu’il semble le nier,
Nous irons encor chez Vanier

Avec cet énorme panier 
Plein de choses mal esthétiques. 
Nous irons encor chez Vanier 
Dans des buts peu problématiques. 

Et nous en reviendrons toujours 
Après avoir, sans plus de scène, 
Vidé vos querelles, amours, 
Et nous en reviendrons toujours, 
Après vous avoir jetés, lourds 
Soupçons et faux propos, en Seine, 
Aux vrais propos, mais pour toujours, 
Aux francs baisers sans plus de scène.

Anniversaire, à William Rothenstein

Je ne crois plus au langage des fleurs 
Et l’Oiseau bleu pour moi ne chante plus. 
Mes yeux se sont fatigués des couleurs 
Et me voici las d’appels superflus. 

C’est en un mot, la triste cinquantaine. 
Mon âge mûr, pour tous fruits tu ne portes 
Que vue hésitante et marche incertaine 
Et ta frondaison n’a que feuilles mortes ! 

Mais des amis venus de l’étranger, 
— Nul n’est, dit-on, prophète en son pays — 
Du moins ont voulu, non encourager, 
Consoler un peu ces lustres haïs.

Ils ont grimpé jusques à mon étage
Et des fleurs plein les mains, d’un ton sans leurre. 
Souhaité gentiment à mon sot âge 
Beaucoup d’autres ans et santé meilleure.

Et comme on buvait à ces vœux du cœur 
Le vin d’or qui rit dans le cristal fin,
Il m’a semblé que des bouquets, en chœur,
Sortaient des voix sur un air divin ;

Et comme le pinson de ma fenêtre 
Et le canari, son voisin de cage,
Pépiaient gaiement, je crus reconnaître 
L’Oiseau bleu qui chantait dans le bocage.

À mon éditeur.

I. Misère

Je veux dépeindre en ce sonnet 
Toute mon indignation 
Contre ce Vanier qu’on connaît, 
Aussi la résignation 

Qu’il me faut (avec l’onction 
Nécessaire au temps où l’on est, 
Temps gaspillé sous l’action 
D’une jeunesse qui renaît). 

Or ce Vanier dont la maison 
Telle celle dite Pont-Neuf 
N’est pas au coin du quai, raison 

Insuffisante à mon courroux 
Terrible, tel celui d’un bœuf, 
Oui, ce Vanier n’a pas de sous

II. Richesse

À me mettre hélas dans la poche,
Mais demain comme il sera tendre 
Il n’est tel que de bien attendre 
Avec une tête de Boche,

Et la chose d’être un gavroche 
Qui ne voudrait plus rien entendre 
Que d’être un gas plus ou moins tendre 
Sans peur autant que sans reproche 

Et je vais enfin, digne et riche, 
Mieux qu’un militaire en Autriche, 
M’épandre et me répandre encore 

En un luxe sans fin ni bornes 
Qui, bœuf littéral que décore 
Sa force, te montre les cornes,

Misère qui voudrait me proposer des bornes.

À Léon Vanier.

I

Vous voulez tuer le veau gras 
Et qu’un sonnet signe la trêve. 
Très bien, le voici, mais mon rêve 
Serait pour sortir d’embarras 

Et nous bien décharger les bras 
De la manière la plus brève, 
— Tel un lourd fardeau qu’on enlève —
Que ce veau fût d’or et très gras, 

Afin que parmi cette foule 
Qui nous bouscule et que l’on roule, 
Nul, voyant ce pacte nouveau 

Dûment paraphé de nos plumes. 
Au bas de l’acte où nous nous plûmes, 
Nul ne dise : « On dirait du veau ! »

II

Or puisque le veau d’or a lieu 
Et qu’on ne dirait plus du veau, 
Il nous faut d’abord prier Dieu 
De bénir le pacte nouveau. 

Pour nous ruer à des travaux 
Tout bonnement prodigieux. 
Prose au kilo, vers frais ou faux, 
Qu’importe ? Tant pis et tant mieux ! 

Nouer et dénouer des nœuds 
Gordiens ou non, et n’étant 
Pas plus des princes que des bœufs. 

Néanmoins, peiner tant et tant 
Que vous fassiez une fortune bœuf
Et que moi j’achetasse un courage neuf. 

Toast à distance, aux Rosati

Gens du Nord, mes compatriotes, 
Hélas ! je vous avais promis 
Quelques mots à propos de bottes 
Comme on en échange entre amis 

Sous le titre de conférence 
Que Ton galvaude en de vains us 
J’aurais gaiement pour l’occurrence, 
En propos exprès décousus
 
Parlé longtemps de la contrée 
À laquelle malgré Paris 
Et sa rumeur démesurée 
Répondront toujours nos esprits.

Lille, Arras, Douai, Valenciennes,
Que sais-je encore, Saint-Quentin !… 
Hélas ! des douleurs anciennes
Me tiennent du soir au matin,

À ce qu’on croit rhumatismales,
Et le docteur, féroce et doux,
Me défend en phrases normales,
Trop normales, d’aller vers vous ;

Mais il me fait espérer, comme 
Il sied, quand vos toasts enviés,
Dans un mois je serais votre homme. 
En attendant, si vous buviez !

Manchester, à Théodore C. London

Je n’ai vu Manchester que d’un coin de Salford 
Donc très mal et très peu, quel que fût mon effort 
À travers le brouillard et les courses pénibles 
Au possible, en dépit d’hansoms inaccessibles 
Presque, grâce à ma jambe male et mes pieds bots, 
N’importe, j’ai gardé des souvenirs plus beaux 
De cette ville que l’on dit industrielle, — 
Encore que de telle ô qu’intellectuelle 
Place où ma vanité devait se pavaner 
Soi-disant mieux, — et dussiez-vous vous étonner 
Des semblantes naïvetés de cette épître, 
Ô vous ! quand je parlais du haut de mon pupitre 
Dans cette salle où l’ « élite » de Manchester 
Applaudissait en Verlaine l’auteur d’Esther, 
Et que je proclamais, insoucieux du pire 
Ou du meilleur, mon culte énorme pour Shakespeare.

Fountain Court, à Arthur Symons

La Cour de la fontaine est, dans le Temple,
Un coin exquis de ce coin délicat 
Du Londres vieux où le jeune avocat 
Apprend l’étroite Loi, puis le Droit ample :

Des arbres moins anciens (mais vieux, sans faute) 
Que les maisons d’aspect ancien très bien 
Et la noire chapelle au plus ancien 
Encore galbe, aujourd’hui… table d’hôte… 

Des moineaux francs picorent joliment 
— Car c’est l’hiver — la baie un peu moisie 
Sur la branche précaire, et — poésie !
La jeune Anglaise à l’Anglais âgé ment…

Qu’importe ! ils ont raison, et nous aussi, 
Symons, d’aimer les vers et lu musique 
Et tout l’art, et l’urgent mélancolique ! 
D’être si vite envolé, vil souci ! 

« Et le jet d’eau ride l’humble bassin » 
Comme chantait, quand il avait votre âge. 
L’auteur de ces vers-ci, débris d’orage, 
Ruine, épave, au vague et lent dessin.

À Edmond Lepelletier

Mon plus vieil ami survivant 
D’un groupe déjà de fantômes 
Qui dansent comme des atomes 
Dans un rais de lune devant 

Nos yeux assombris et rêvant 
Sous les ramures polychromes 
Que l’automne arrondit en dômes 
Funèbres où gémit le vent, 

Bah ! la vie est si courte en somme 
— Quel sot réveil après quel somme ! — 
Qu’il ne faut plus penser aux morts 

Que pour les plaindre et pour les oindre 
De regrets exempts de remords, 
Car n’allons-nous pas les rejoindre ?

Jean Richepin

Richepin 
N’est pas le nom d’un turlupin 
Ni d’un marchand de poudre de perlinpinpin 
C’est le nom d’un bon bougre et d’un gentil copain. 

Écoutez : 
Il blasphème de tous côtés, 
Au Bourgeois même il dit de sales vérités, 
Ses marins à l’Opér'Com’ seraient peu cotés. 

Tout le mal 
Il le chante d’un ton normal 
Et c’est, à dire vrai, le plus pire animal. 

Mais les gueux 
Combattant, souffrant avec eux 
Il les aime de quel amour noble et fougueux !

À Arthur Rimbaud

I

Mortel, ange ET démon, autant dire Rimbaud,
Tu mérites la prime place en ce mien livre 
Bien que tel sot grimaud t’ait traité de ribaud 
Imberbe et de monstre en herbe et de potache ivre. 

Les spirales d’encens et les accords de luth 
Signalent ton entrée au temple de mémoire 
Et ton nom radieux chantera dans la gloire,
Parce que tu m’aimas ainsi qu’il le fallut. 

Les femmes te verront grand jeune homme très fort,
Très beau d’une beauté paysanne et rusée,
Très désirable d’une indolence qu’osée !

L’histoire t’a sculpté triomphant de la mort 
Et jusqu’aux purs excès jouissant de la vie,
Tes pieds blancs posés sur la tête de l’Envie !

II

Toi mort, mort, mort ! Mais mort du moins tel que tu veux,
En nègre blanc, en sauvage splendidement
Civilisé, civilisant négligemment… 
Ah, mort ! Vivant plutôt en moi de mille feux 

D’admiration sainte et de souvenirs feux 
Mieux que tous les aspects vivants même comment 
Grandioses ! de mille feux brûlant vraiment 
De bonne foi dans l’amour chaste aux fiers aveux. 

Poète qui mourus comme tu le voulais,
En dehors de ces Paris-Londres moins que laids,
Je t’admire en ces traits naïfs de ce croquis,

Don précieux à l’ultime postérité
Par une main dont l’art naïf nous est acquis,
Rimbaud ! pax tecum sit, Dominus sit cum te !

À Mlle Renée Zilcken

Ô Mademoiselle Renée, 
Fillette exquisement mignonne, 
Que le bon Dieu toujours vous donne 
Vie élégante et fortunée.

Grandissez dûment bien-aimée 
Dans la sagesse douce et bonne 
Sous l’œil qui sourit et s’étonne 
De votre famille charmée. 

Soyez l’espoir et le bonheur 
De votre père, lui, l’honneur 
De l’art et de votre famille 

Et de votre mère, l’honneur 
Et la grâce d’une famille 
S’étonnant de tout ce bonheur.

À Mlle Eveline

Eveline, mais c’est Ève 
En miniature et c’est 
Tout le charme et tout le rêve 
Que notre esprit caressait 

Quand naguère il s’agissait 
Encore d’enfance brève 
Qui grandit et grandissait 
Dans la femme qui s’achève. 

Mais où va donc mon Sonnet ?
Vous êtes toute mignonne 
Et l’âge en fleurs vous couronne. 

Votre âge gai ne connaît 
Que l’innocence divine… 
Riez, petite Eveline !

À Mlle Léonie R…

Vous emplissez d’un bruit gentil, quoique terrible,
Ma tête que console un tapage d’enfant,
— Et mon cœur qu’il est difficile qu’on console !

Vous me rendez la joie et je suis triomphant 
De moi-même, ce moi-même qui fut horrible 
Lorsqu’une enfant aussi, criait, méchante et folle 

Et bonne, au fond, quand j’étais moi-même un enfant 
Aux yeux vrais, au sang pur comme d’une mouette 
Qui revient de très loin, ainsi que ce poète.

À Mlle Jeanne Vanier

Parfois dans un local plein de livres, deux hommes 
Se gourment presque, bien que bons garçons au fond ; 
C’est votre père et moi dont les paroles vont 
De l’offre à la demande en quels écarts de sommes ! 

Je n’ai pas l’air commode. Il est mal disposé. 
Choc terrible ! Soudain, au fort de la querelle, 
Petite et fine à la croire surnaturelle, 
Une enfant apparaît, grands yeux noirs, teint rosé. 

Elle s’enquête, elle tremble, comme inquiète 
— Sérieusement trop ? Non, — du bruit de tempête 
Que vont menant ce monsieur chauve et son papa 

Souriants sur-le-champ, — et voici la paix faite 
Entre, en un mutuel et franc meâ culpâ, 
Votre père, éditeur, et moi, votre poète.

Sur un buste de moi, pour mon ami Niederhausern

Ce buste qui me représente 
Auprès de la postérité 
Lui montre une face imposante 
Pleine de quelle gravité !

Devant cette tête pesante 
Du poids tous les jours augmenté 
D’une pensée, ô pas puissante 
D’un souci plutôt entêté, 

Qu’est-ce que vont dire les femmes 
Et les hommes des temps futurs ? 
« Au fait, on sent, sous ces traits durs 

Et derrière ces yeux aux flammes 
Noires, un monsieur malveillant, 
Mais le sculpteur eut du talent. »

À Raymond Maygrier

Comme la langouste d’Hervé
« Qui portait l’herbe magique,
« Sur sa croupe magnétique »
Mieux que la langouste d’Hervé,

Que ce crustacé controuvé,
Vous possédez l’art magique 
Et même le magnétique… 
Fi d’un crustacé controuvé !

Puis, vous êtes graphologue,
Et démêleriez, tonnerre ! une églogue 
Dans un grimoire où Nostradamus perdrait son latin. 

Bon Maygrier, sorcier rose,
Magicien blanc sans rien de morose,
Dites, prédisez-moi quelque plus sortable destin.

À Mlle Adèle

Mademoiselle Adèle 
Vous êtes un modèle :
D’ordre et d’autorité 
Qui m’auriez complété !

Mademoiselle Adèle,
Vous êtes un modèle 
De joie et de gaîté 
Viv’votre autorité !

Vous m’avez dit des choses,
Presque le drapeau rose 
Qu’est le drapeau français,

Vous m’avez dit des choses,
Presque le drapeau rouge 
Qu’on voit sur votre bouche.

À Mme Marie A…, pour sa fête

Le poète n’est pas très riche ! 
Aussi, devant ce frais jardin 
De bouquets dignes d’un Éden, 
Se voit-il forcé d’être chiche 

En ce jour de sainte Marie, 
Votre fête, et chiche à ce point 
De ne contribuer, las ! point 
À cette éclosion fleurie 

De sympathie et d’amitié. 
Il se contente avec remords 
De vous offrir, non pas des ors 

Ni même d’humbles rangs de perles, 
Mais son petit air pépié, 
Comme le plus humble des merles.

À Rodolphe Darzens

Jeune homme élancé 
Comme un peuplier,
Qui donc a pensé 
Qu’on pût l’oublier

Dans ce livre si 
Vraiment amical ?
Quel sot réussi,
Quel crétin fécal ?

Jeune homme élancé 
Vers la vie et vers 
L’art et les beaux vers,

Enfant annoncé 
Par ta chanson, viens,
Entre et sois des miens.

À Henri Bossanne

Bon imprimeur de la première édition
De « Dédicaces »,
Vous vîntes à Paris dans une intention 
Des plus cocasses :

S’agissait de me voir, de m’interviewer 
Pour la province,
Apprendre ce que pouvait agir et rêver 
Ce moi si mince. 

Or il advint qu’au jour où j’eus le cher plaisir 
De vous connaître 
J’étais chez moi, rideaux tirés sur la fenêtre,

En manches de chemise et chaussons de loisir,
Avec deux femmes !!!
Et vous : « Ce n’est donc pas CE prince des infâmes ! »

À Max Rosa

Rosa n’est pas « rosa » la rose,
Ni Salvalor, peintre en brigands,
Ni la belle dame aux longs gants 
Qu’un tel pronom signe ou suppose,

Ni l’un de ces rois de la pose,
Señores par trop élégants 
Ou senhores plus qu’éloquents,
Ou « rastas » pour dire la chose. 

Rosa, c’est le nom d’un ami,
Parisien de bonne souche 
Et Français non point à demi. 

Il est prompt à prendre la mouche. 
Mais le chagrin d’autrui le touche :
Dear friend, I’m sorry ; think of me.

À Mlle A. Rom...

Ce nom, Sedan ! me dit de vacances d’enfance, 
De passages en « diligence » dans un bruit 
Joyeux de clics-clacs et de vitraille qui fuit 
Vers un horizon gai qu’on dirait qui s’avance. 

Ce mot, Sedan ! m’évoque, ainsi qu’à tous en France, 
Une plaine lourde de sang, blême de nuit,
Des cris éteints qu’une rumeur de rêve suit, 
Sur quoi plane très haut comme de l’espérance.

Sedan ! Sedan ! pourtant il sonne encore doux 
Et frais, non plus pour l’avenir ou la mémoire, 
Mais bien dans le présent bien vivant, grâce à vous ! 

Il sonne, il brille, le futur nom de victoire : 
Accent joli, mignon entrain toujours accru 
Et l’Ardennais qu’est moi presque, en reste féru.

À A. Duvigneaux

Trop fougueux adversaire de l’orthographe phonétique

É coi vréman, bon Duvignô,
Vou zôci dou ke lé zagnô 
É meïeur ke le pin con manj. 
Vou metr’an ce courou zétranj

Contr (e) ce tâ de brav (e) jan 
O fon plus bête ke méchan
Drapan leur linguistic étic 
Dan l’ortograf (e) fonétic ?

Kel ir (e) donc vou zambala ?
Vizavi de ce zoizola 
Sufi d’une paroi (e) verde. 

Et pour leur prouvé san déba 
Kil é dé mo ke n’atin pa 
Leur sistem (e), dison-leur :… !

À Rodolphe Salis

Cabaretier miraculeux,
Ainsi qu’eût dit le bon Pétrus 
Aux temps déjà si fabuleux 
Du romantisme et de ses us ;

Cabaretier miraculeux 
Et bonisseur digne d’Ursus,
Puis ennemi méticuleux 
De la sottise et de ses us ;

Salis qu’on prénomme Rodolphe,
Créateur, comme Prométhée !
Flot de liquides, tel un golfe !

Ô Maître, nul ne t’est athée. 
Sauf quelque muffle, lymphe et dartre 
En ton domaine de Montmartre.

À Léon Cladel

Tu fus excessif 
Et je t’en aimais 
D’un amour plus vif, 
Plus vif que jamais, 

Depuis que la mort, 
Cette vie en mieux, 
A brisé l’effort 
De Toi vers les cieux, 

Vers des cieux voulus 
Par la volonté, 
Des cieux absolus, 

Toi ressuscité 
Aux fins, glorieux. 
D’une vie en mieux.

Pour Marie ..., à F.-A. Cazals

Chez nos anciens c’était une bonne coutume
Que la dame de nos amis fût célébrée.
Je veux donc dire de ma voix la mieux timbrée,
Et les tracer du bec de ma meilleure plume,

Vos mérites et vos vertus dans l’amertume 
Douce de vous savoir d’un autre énamourée 
Mais d’un autre… moi-même — et la tâche sacrée 
D’exalter et de promouvoir, or je l’assume,

La louange de vos yeux qui le surent voir,
Celle de votre cœur qui put gagner le sien,
Et celle due à votre, hélas ! fidélité !

Et, consolation ! celle du bon vouloir 
Qui fait que votre main, sûre du respect mien 
Serre la mienne en lui, sûr de ma loyauté.

À Gustave Lerouge

La vie est vraiment si stupide que, ma foi !
J’ai, devant cette perspective plus que bête,
Résolu de n’être absolument qu’un poète 
Sans plus, et de vieillir ainsi, ne sachant quoi 

Que ce soit, que d’aimer au hasard devant moi. 
Aimer pour ne haïr, aimer d’amour honnête 
Ou non, d’estime ou d’intérêt, en proxénète 
À moins qu’en martyr, et n’ayant plus d’autre émoi !

Lerouge ! El vous ? Tout cœur et toute flamme vive,
Qu’allez-vous faire en notre exil ainsi qu’il est, 
Vous, une si belle âme en un monde si laid ?

Bah ! faites comme moi, dussent trouver naïve 
Votre ample expansion ceux forts que fallait 
Aimer sans fin ni loi. Et qui m’aime me suive !

Au compagnon Lartigues

Vous qui ne connaissez de brigue 
Que la seule briguedondaine 
Et n’ourdissez jamais d’intrigue 
Qu’en l’espoir de quelque fredaine,

Un penser d’amour et de haine 
Pourtant vous hante et vous fatigue 
Et vous fait plate la bedaine : 
L’amour du Pauvre, bon Lartigue ! 

L’amour du Pauvre mieux peut-être 
Que celui du moderne prêtre 
Et de l’actuel philanthrope. 

Si cela c’est être anarchiste 
Inscrivez-moi sur votre liste. 
— Et que saute la vieille Europe !

À M. le docteur Chauffart

Le poète n’est parbleu pas ce que l’on croit. 
Il n’a que quand il veut toutes les ignorances 
Sans trop d’âpre verdeur ou de préjugés rances 
Et parfois même il sent profond et pense droit.

Son regard va, cruel et précis comme un doigt 
Et sa tête, qui sait mûrir les apparences,
Taisant soudain ses bruits de peurs et d’espérances,
Voit terriblement clair à ce qu’autrui lui doit.

Non son cœur, proie intarissable à l’infortune,
Mais sa tête, après tout auguste, et cœtera,
Et dès lors pour beaucoup s’amasse une rancune 

Qui saura s’assouvir, advienne que pourra. 
Mais, ô fraîcheur ! pour quelques-uns elle recense 
Et réserve, à tout prix ! quelle reconnaissance !

À Aman Jean, sur un portrait enfin reposé de moi

Vous m’avez pris dans un moment de calme familier 
Où le masque devient comme enfantin comme à nouveau. 
Tel j’étais, moins la barbe et ce front de tête de veau 
Vers l’an quarante-huit, bébé rotond, en Montpellier. 

J’allais dans des Peyroux, tranquillement avec ma bonne,
J’y faisais mille et des fortins de sable inexpugnables 
Et des fossés remplis, mon Dieu, des eaux les moins potables 
Suivant l’exemple que Gargantua pompier nous donne.

J’y voyais passer des processions, des pénitents 
Et proclamer la République en ces candides temps 
Où tant d’un tas d’avis n’étaient pas encore inventés. 

Mais malgré ce souci de nos jours qu’il agite et trouble 
Et d’autres ! au tréfonds de mes moelles encor butées 
Je demeure assuré, — conforme à votre excellent double.

À Mme Marie P.

Ô jeune chevelure blanche 
Pomponnant gaiement une face 
Passionnée et perspicace 
Aux yeux très bons, mais, en revanche,

Très méchants, très poing sur la hanche,
Pour peu qu’un faquin les agace,
Que fin de siècle et fin de race 
Vous êtes, chevelure blanche,

Lorsque vous vous pavanez sous 
Ce chapeau mousquetaire noir 
Et qu’il fait plaisant de vous voir

Panache fier aux fiers remous,
Fleur pompadour — gare, Tircis ! — 
D’une toilette Médicis !

À César C…

Vous êtes la douceur elle-même et la paix, 
Et c’est au nom de quoi, mon ami, je vous aime. 
Comme étant la douceur et — oui ! la paix, moi-même, 
La paix, comme je veux, la douceur, où je vais ! 

Parfois, c’est vrai, je suis méchant et non mauvais. 
Je ne suis plus celui que trouble le problème, 
Je ne suis plus celui qu’envolait le poème,
Je ne suis, par instants, que « fais donc ce que fais »,

Instinctif, et, sinon terrible, près de l’être. 
Comme vous m’avez vu, puis, comme un mauvais prêtre 
Affreux d’hypocrisie et vil de faux honneur, 

Mais ensuite, et de vous, ami, prenant l’exemple, 
Sérieusement doux et paisible donneur 
De douceur et de paix dès la porte du temple.

À Bibi-Purée

Bibi-Purée 
Type épatant 
Et drôle tant ! 

Quel Dieu te crée 
Ce chic, pourtant. 
Qui nous agrée. 

Pourtant, aussi. 
Ta gentillesse 
Notre liesse, 
Et ton souci, 

De l’obligeance. 
Notre gaîté, 
Ta pauvreté, 
Ton opulence ?

À un passant

Mon cher enfant que j’ai vu dans ma vie errante,
Mon cher enfant, que, mon Dieu, tu me recueillis,
Moi-même pauvre ainsi que toi, purs comme lys,
Mon cher enfant que j’ai vu dans ma vie errante !

Et beau comme notre âme pure et transparente,
Mon cher enfant, grande vertu de moi, la rente 
De mon effort de charité, nous, fleurs de lys !
On le dit mort… Mort ou vivant, sois ma mémoire !

Et qu’on ne hurle donc plus que c’est de la gloire 
Que je m’occupe, fou qu’il fallut et qu’il faut… 
Petit ! mort ou vivant, qui fis vibrer mes fibres,

Quoi qu’en aient dit et dit tels imbéciles noirs, 
Petit compagnon qui ressuscitas les saints espoirs,
Va donc, vivant ou mort, dans les espaces libres.

Pour Roberte

Seconde âme de mon ami, son autre cœur,
Roberte, or, vous voici veuve… pour une année,
Et je viens avec vous penser à sa langueur 
À lui loin de vos yeux à vous, sa Destinée

En quelque sorte, et très pieusement je viens
Et reviens avec vous tristement vous redire 
Qu’il pleure autant que vous et que, non son martyre 
(Ce serait blasphémer, car nous sommes chrétiens)

Mais son impatience est égale à la vôtre. 
Et ne faisons donc plus ici le bon apôtre 
Et parlons franchement d’un chagrin trop réel. 

Sans rien exagérer puisque, Roberte chère,
Il va bien, il vous aime bien et que son ciel 
C’est de vous revoir comme il est sûr de le faire.

Au vicomte de Lautrec

Ce n’est pas un bonjour tout sec,
Mon cher Guy, vicomte Lautrec,
Que je vous donne, c’est, avec 
Un vœu qui ne part pas du bec,

Mais un qui vient du cœur vraiment 
Et ce, sous la foi du serment… 
D’ailleurs vous savez qu’il ne ment,
En dépit de la rime en ment… 

— Rime calomniée et trop 
Méprisée ainsi qu’un sirop 
Qui sucrerait trop un poison !

Et voici ma forte raison :
Souvenez-vous de l’hôpital !
Vous voyez que c’était fatal.

Pour Mlle D. A…

Je vous aime trop, Andrée, 
Au trot comme au galop ! 
Vous êtes mon adorée 
Au galop tout comme au trot. 

Andrée, ô je t’aime trop 
(Bien que trop dans la purée) 
Et c’est au trot que je bée 
Après ton jupon salop. 

Puis chantons-nous la romance 
Qu’il faut que l’on recommence 
Comme oiseaux sans feu ni lieu 

Et prouvons-nous l’espérance, 
Et la bonne confiance 
Qu’on se doit au nom de Dieu.

À Ph…

I

Tu me demandes des vers,
Ça, c’est gentil comme un cœur. 
En voici, mais point pervers :
Car mon amour, tout vigueur,

Tout force et dévouement jusque 
Au sang mien, tu ne l’ignores 
Pas, a cessé tout ton brusque 
Depuis qu’il a vu, sonores,

Les rives du sombre bord 
S’étrécir autour de lui,
Sonores cris de mort,
Et qu’il t’a vue en l’ennui.

De la crainte légitime
D’un trépas sans conscience
De soi-même. — Aussi ma rime
Fleure aujourd’hui d’innocence !

Et demain en fleurira.
Car notre amour est sacré,
Témoin des et (cætera)
D’un deuil qui viendra, malgré

Tout, et songeons bien, chérie,
À ces tristes fins dernières.
Hélas ! ma pauvre chérie,
Songeons à nos fins dernières.

II

Oui, soyons-nous poète et muse 
Mais dans le mode familier, 
Nous avons passé le millier 
Des heures jeunes où l’on ruse 

Pour faire croire aux bonnes gens 
Dont on est le premier soi-même. 
Qu’on n’aime en tout ça que l’extrême ! 
Fiers, paradoxaux, exigeants. 

La vie avec sa vraie outrance 
A pris soin de nous corriger 
Du travers de nous rengorger, 
Ne nous laissant de l’espérance

Bien que la simple illusion
D’être un couple encore sensible 
Et ne livrant à notre cible 
Qu’un but, la résignation !

Ce lot est préférable en somme.
À des appétit qu’il est bon,
Toi, veuve au fait, moi ce barbon,
De régler de sorte économe. 

Profitons, puisqu’il en est temps —
De cette sagesse dont l’âge 
Qui vient dote notre ménage. 
Pour faire œuvre de pénitents ?

Que non pas ! Fîmes-nous des crimes ?
Pas mal de péchés voilà tout. 
De ces péchés légers qu’absout 
Le seul pardon de leurs victimes,

Et leurs victimes ce fut nous. 
De ces victimes sans rancune. 
Toi, reste encor longtemps ma brune. 
Toujours la bonne qu’à genoux 

Invoquent mes instants de doute,
De tristesse ou de désespoir,
Mon étoile dans le ciel noir,
L’auberge fraîche en l’âpre route.

Moi devenu calme — ce n’est 
Pas malheureux, car tant de frasques,
Et de rôles, sous que de masques ! — 
Je suis celui qui ne connaît 

Et ne chante plus que les choses,
Et l’humanité qu’il convient. 
La vérité seule me tient,
Soient ses aspects sombres ou roses. 

Mes vers épris dorénavant. 
De la raison mais de la saine 
Ne déclameront plus en scène… 
Ils vivront dans tout cœur vivant.

III

Ah ! d’être houreux puisqu’on le peut, puisque la vie 
Tumultueuse nous a tué toute envie 
Autre que d’être calme en un lieu calme enfin ! 
Nous boirons quand nous aurons soif. Quant à la faim, 
Des repas frugaux mais nourris sauront l’éteindre. 
Que nous dussions jamais l’un ou bien l’autre atteindre 
Aux splendeurs, aux sommets, nous en désespérons, 
En nous aimant plus fort, nous nous consolerons. 
Les dimanches et jours de fêtes, car tu goûtes 
Ça, l’on ne verra plus que nous deux sur les routes 
De Sèvres à Clamart et de Meudon au Pecq, 
Avec des propos gais, mais retenus au bec. 
Nous rentrerons vanés, fauchés — l’or embarrasse 
Parfois — et puis nous dormirons, chair lasse, 
Après, hein ? Si tu veux, des manières à nous. 
Et je commencerai la fête à tes genoux.
Puis sur ton cœur, et nous dormirons sans grand rêve. 
L’hiver, nous irons au théâtre ! Je n’en crève 
Plus de désir, mais toi lu raffoles de ça. 
Et nous verrons de beaux décors qu’un tel brossa. 
Et nous applaudirons tel calembour superbe. 
Puis nous irons coucher, mieux encor que sur l’herbe. 
Dans le grand lit de châtaignier qu’aura vu tant 
De fois moi dans le paradis, sage et prudent. 
Qu’est devenu le lien pendant nos durs passages 
D’ailleurs c’est ça, restons toujours prudents et sages 
Quelqu’un nous bénira qui déjà nous bénit. 
Aimons-nous en époux apaisés dans leur nid. 
La tendresse n’y perdra rien, tout au contraire 
— Rien d’exquis que d’être aux yeux des gens sœur et frère !

À Edmond Picard

Puisqu’il n’est pas permis en ce libre pays 
Qui pourtant fut la France et prétend encore l’être, 
De parler librement d’un homme libre et maître 
De soi, d’un citoyen, d’un artiste, — obéis,

Poète, à ton idée, et faisons ébahis ! 
Les sots et les puissants, — même chose peut-être, —
En célébrant cet homme, un soldat ? Non. Un prêtre ? 
Non ! tout cela dans toi, Picard, qui ne trahis 

Ni la foi politique (en ce siècle critique 
Il sied vraiment d’avoir une foi politique). 
Ni la foi littéraire, artistique qu’il faut 

Avoir aussi pour consoler l’âme indignée 
Des choses de la vie encor que résignée 
Et pour laquelle on meurt aussi, car ce le vaut.

À Francis Poictevin

Toujours mécontent de son œuvre 
D’autant plus exquise de flou 
Et d’amour de l’art dûment fou 
Où la limace et la couleuvre 

Ne peuvent rien qu’user leur dent 
Et leur bave, n’est-ce pas, presse 
Littéraire en général. Qu’est-ce 
Que cet indicible imprudent 

Qui n’écrit pas pour la publique 
Moyenne et jamais ne réplique 
Aux haros que par le halo 

D’un esprit en bonne fortune, 
Mystérieux comme la Lune 
Clair et sinueux comme l’Eau.

À Ph…

Le petit chien est mort. Quel dommage ! il était 
Si gentil ! Blanc pur que du jaune tachetait,
D’un jaune on eût dit d’or brunissant. Sa gueugueule 
Et son nénez, roses tous deux, semblaient la seule 
Chose vivante en lui ; car son corps trop dodu 
Ne rendait pas le mouvement qui semblait dû 
À cet être qu’un charme spécial décore ;
Quant à sa queue, elle était bien trop jeune encore 
Pour rire ou pour pleurer, pour frétiller, enfin,
De joie ou de chagrin, ou de soif ou de faim. 
Il piaulait, jadis miaulait, même 
Piaillait, tant son cri formait la voix suprême 
De l’animal dans son innocence, oiseau, chat ;
Mais du chien proprement, rien qui s’en rapprochât 
Qu’un grêle, si l’on veut aboiement plus semblable 
Au chant du colibri dans la forêt d’érable. 
Il nous léchait, le pauvre aveugle encore un peu,
De sa langue imperceptible, quand, d’instinct, comme
D’une flèche soudaine, il roula, le chétif être,
Ses yeux tournés vers sa maîtresse et vers son maître. 
Et mourut, nous presque pleurant, tout blancs, tout sots,
Ses pattes frêles en l’air, comme les oiseaux.

Au Gérant du Muller

Vous êtes nancéien et moi je suis messin :
Vive donc à jamais cette vieille Lorraine 
Qui nous vit naître et nous réchauffa dans son sein 
Et dont, fils pieux, nous baisons le front de reine.

Captive, en attendant l’heure où le duc tocsin,
Le pur tocsin à la voix terrible et sereine,
Âpre cri de gorgone et doux chant de sirène,
Dictera le devoir messin et nancéien. 

— En attendant encor, hôte de la grand’ville,
Malgré ton délice, ô bon « cru » de Tantonville 
Et tout ce que Munich vend de nectar trop clair 

Et tout ce que Dublin et tout ce que Bruxelles 
Brassent à l’intention de nos escarcelles,
L’heure de savourer la bière de Müller.

À E… en lui offrant Mes Prisons

Je suis prisonnier de tes yeux 
Toujours, — et parfois de tes bras. 
Mais ne plains pas ces embarras 
Qui ne sont guère qu’ocieux. 

L’odieux, ô mais, là c’est dur,
C’est que mon cœur est en prison 
En même temps que ma raison 
Dans ton amitié, cachot pur !

Et bien que trop intelligents,
Mes désirs, quoique diligents,
S’en ressentent jusqu’à parfois 

Ressembler à d’affreux courroux… 
Mais tu les mets sous les verroux 
De ta bonté, cœur, geste et voix.

À Léopold II, roi des Belges

Je vous aime Français et roi je vous respecte. 
Beaucoup de votre sang circule en moi. Beaucoup 
Du mien bat en vos veines et le tout 
Se dit compatriote en langue bien correcte. 

Vous êtes souverain et je suis un insecte. 
Citoyen d’une république « à tant le coup » 
(Comme à St-Cloud !), mouton en grand danger du loup 
Sous un berger dormeur que se bouger affecte ; 

Votre hôte d’un instant, partout un peu fêté. 
Parlant de poésie et de pure beauté, 
Épris de votre si gente et forte Belgique ! 

À peine moi parti, l’émeute fit son cri, 
Que vous domptâtes d’un clément geste énergique 
Car vous êtes vraiment un fils du roi Henry !

À l’aimée

Voici des cheveux gris et de la barbe grise. 
Tu me les demandas en un jour d’enjouement 
Pour, disais-tu, les encadrer bien gentiment 
Autour de ce portrait ou ma « grâce » agonise. 

Pauvre photo ! Mais j’y pense, il sera de mise,
Quand mes yeux fatigués se seront clos dûment 
Et que la terre bercera son fils dormant,
Il sera de saison alors, chérie — exquise 

Attention ! — de faire avec ces cheveux, teints 
À cette barbe, teinte en boucles blondes, brunes 
Ou telle autre nuance entre tant d’opportunes,

Faire, par un coiffeur de choix, sur des fonds peints 
D’avance, le tombeau, lors pleuré sans astuce 
Du jeune homme qu’il aurait fallu que je fusse.

Au comte Robert de Montesquiou-Fezensac

Le poète infini qui, doublant et triplant 
Les nuances, sonda jusques à nos scrupules,
Crevant les mauvais arguments comme ces bulles 
De savon qu’il suffit de détruire en soufflant. 

Le voilà, composant d’un geste sobre et lent,
Un bouquet frais cueilli, lors des doux crépuscules 
Tombant, « dahlia, lis, tulipe et renoncule »
Et toutes fleurs au monde et par delà, relent 

Mystique qu’il fallait pour compléter la fête 
Parfumée où le mage exquis nous conviait,
Et dont nous jouissions d’un frisson inquiet. 

J’admire le penseur subtil et l’âpre esthète 
Des pensers voletant comme chauves-souris,
Mais j’aime le fin enchanteur aux sorts fleuris.

Gabriel de Yturry

Yturry ! C’est un nom terrible,
Évocation de Pyrénées 
Prises, reprises, rançonnées 
Par un chef au visage horrible. 

Œil de feu sous le sombrero 
Il se moque un peu du bourreau,
Tel le torero du taureau. 
Balles pleuvent comme d’un crible,

Femmes se sauvant, dépeignées,
Par quels bras affreux empoignées. 
Tout voyageur est une cible… 

Fi ! c’est le Cavalier exquis 
Tout à l’ami qu’il a conquis 
Parmi quelques Amaéguis.

À Aurélien Scholl

À seize ans, l’âge du bachot épouvantable 
D’antan, et du bachot bizarre d’aujourd’hui,
Comme nous nous passions « Denise » sous la table,
En nous disant tout bas : Lis, mon bon, c’est de Lui !

À l’Escrime, le seul de nos maîtres sortable,
Robert, nous démontrait quelque coup inouï 
D’audace magnifique ou de ruse admirable 
Et nous clamions à plein gosier : Ça c’est de Lui !

Lui ! c’est vous. Et, depuis, par la vie où le lucre, 
Où le rêve vont nous usant, qu’on aime donc 
Votre amère sagesse et l’esprit qui la sucre 

Et la sale et la poivre et, souples, tel le jonc 
Qui vous fut coutumier au dam de maintes faces 
Et maints dos, vos mots pleins de grâces et d’audaces.

À Léon Dierx

Dierx ! dont le nom fait pour la gloire sonne clair 
Comme une bonne épée en la main d’un héros. 
Qu’avons-nous de commun, nous, rois avec ce gros 
De rustres s’en allant en guerre de quel air ? 

Nous, rois de l’infini, du Ciel et de l’Enfer 
Qu’Héphaistos a vêtus et que délace Eros, 
Et qui, de tous les dieux, de Corinthe à Paros, 
Avons fait nos égaux, bronze et marbre, or et fer ! 

Car le poète, enfin vainqueur et hors aux foules, 
Comme Poséidon met du geste un frein des houles 
Et règne, tel que Zeus, d’un pli de ses sourcils. 

Hélas ! c’est faux de moi, tige au plus qui fleuronne, 
Mais, ô vous, calme ennui de splendides soucis, 
Portez, olympien, le nimbe et la couronne.

À Mme J...

Je vous ai promis mon sonnet pour ce soir. 
En revanche vous m’avez promis une récompense 
Certes imméritée, et voici que j’y pense. 
Et depuis lors je vis dans un si doux et vague espoir.

Mais que pour moi l’avenir serait noir 
Si, pendant que je rêve à la bonne bombance 
Espérée et promise et voici que je panse 
La blessure que me ferait de ne pas voir 

De mes yeux presque en pleurs dans cette incertitude 
Vos yeux sourirent avec plus de mansuétude 
Que de coutume envers l’œuvre et, de plus l’auteur. 

Et j’ai fait ces vers-ci qu’il fallait que je fisse, 
Ne vous faisant d’ailleurs pas d’autre sacrifice 
Que de vous plaire un peu, bien qu’un peu radoteur.

Ballade en faveur des dénommés décadents symbolistes

Quelques-uns dans tout ce Paris 
Nous vivons d’orgueil et de dèche. 
D’alcool encore qu’épris 
Nous buvons surtout de l’eau fraîche 
En cassant la croûte un peu sèche. 
À d’autres fins mets et grands vins 
Et la beauté jamais revêche ! 
Nous sommes les bons écrivains.

Phœbé, quand tous les chats sont gris, 
Effile d’une pointe rêche 
Nos corps par la gloire nourris 
Dont l’enfer, au guet, se pourlèche, 
Et Pœbus nous lança sa flèche, 
La nuit nous berce en songes vains 
Sur des lits de noyaux de pêche. 
Nous sommes les bons écrivains.

Beaucoup de beaux esprits ont pris 
L’enseigne de l’Home qui bêche,
Et Lemerre tient les paris,
Plus d’un encor se dépêche
El tâche d’entrer par la brèche ;
Mais Vanier à la fin des fins 
Seul eut de la chance à la pêche. 
Nous sommes les bons écrivains.

ENVOI

Bien que la bourse chez nous pèche,
Princes, rions, doux et divins. 
Quoi que l’on dise ou que l’on prêche. 
Nous sommes les bons écrivains.

Ballade pour s’inciter à l’insouci

J’ai cette honneur d’avoir des ennemis 
D’ordre privé, dont je suis trop bien aise 
Et m’esjouis autant qu’il est permis,
Car la vie autrement serait fadaise 
Et, parlons clair, une bonne foutaise. 
Or j’en ai moult, non des moins furieux 
Mais, comme on dit, ardents, chauds comme braise :
Mes ennemis sont des gens sérieux. 

Ils ont passé ma substance au tamis,
Argent et tout, fors ma gaîté française 
Et mon honneur humain qui, j’en frémis,
Eussent bien pu déchoir en la fournaise 
Où leur cuisine excellemment mauvaise 
Grille et bout, pour quels goûts injurieux ?
Sottise, Lucre et Haine qui biaise ?
Mes ennemis sont des gens sérieux.

Ils iraient bien jusqu’au crime commis. 
Satan les guide et son souffle les baise. 
Prière au ciel d’en garder mes amis. 
Caïn, certes, était dans leur genèse 
Et son péché forme leur exégèse. 
Leur discours va flatteur et captieux : 
Tel un serpent rampe en un plan de fraise. 
Mes ennemis sont des gens sérieux. 

ENVOI

Prince des cœurs que rien ne déniaise, 
Mon cœur tout rond, tout franc, tout glorieux 
De battre, et d’être, et d’aimer qui te plaise, 
Mes ennemis sont des gens sérieux.

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Johann - Poetica Mundi