Vieilli et malade, le Paul Verlaine de 1894 est bien conscient de son déclin. Aussi, offre-t-il un regard en arrière. Il observe et commente sa poésie, s’adresse à ses anciens amis, à des inspirations poétiques, et commente avec humour le parcours de sa vie et de sa poésie. Tout cela dans son recueil Épigrammes.

Dans ce recueil, qui est l’un de ses derniers, Verlaine donne le meilleur de sa poésie. Langue ciselée, rythmes travaillés, et liberté d’expression caractérisent les poèmes qu’il compose pour cet ouvrage.

Épigrammes est l'antépénultième recueil de Paul Verlaine. Véritable testament littéraire en 16 poèmes publié en 1894, ce recueil est l'occasion pour le poète de faire un retour sur sa vie de poésie, ses amis, ses inspirations, ses déceptions, dans une langue ciselée et incisive.

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Faits Intéressants sur Épigrammes

Pourquoi le titre du recueil : Épigrammes ?

Pour son recueil Épigrammes, Paul Verlaine a choisi un titre précis, calibré, à l'image de sa poésie. Un épigramme, c'est un poème court, qui porte souvent un regard satirique sur le thème qu'il présente. Aussi, Verlaine, dans ce recueil offre-t-il une pensée fine sur sa poésie.

Quels sont les thèmes du recueil Épigrammes ?

Le recueil Épigrammes de Paul Verlaine aborde des thèmes qui sont importants pour le poète : sa poésie, son œuvre, son passé, ses inspirations, des amis poètes, et l'art en général… C'est un texte varié et joueur, une véritable source de plaisir.

Pourquoi le recueil Épigrammes vaut la peine d'être lu ?

Le recueil Épigrammes de Paul Verlaine vaut la peine d'être lu, car il peut être vu comme un testament littéraire du poète. En effet, c'est l'un de ses derniers recueils, et l'homme malade et affaibli décide de composer sur le passé. Il synthétise ici tout son génie poétique.

Texte Intégral de Épigrammes

Remis de ses émotions

I

Remis de ses émotions, 
N’ayant gardé des passions 

Que de la force et de la ruse, 
Le poète à présent s’amuse... 

Il jouira du beau, du bien, 
S’enquêtant de tout et de rien... 

Pourvu que tout soit quelque chose 
Et que rien au bout ne s’oppose, 

Au but qu’il poursuivait jadis 
Avec des élans d’Amadis, 

Vers quoi désormais il chemine, 
Bon chanoine en de chaude hermine, 

Chanoine du Parnasse, un peu 
Sceptique envers l’un peu vieux dieu, 

Ce but qui serait d’enfin vivre 
Sinon encor tout à fait ivre 

Comme autrefois, du moins repu 
Point trop, grands dieux ! mais ayant bu 

De l’eau qu’il faut à la « Fontaine 
Poétique », pour la lointaine 

Ou prochaine mort qu’il faudrait 
Être consolée en secret.

II

Oui, voir, entendre avec assez
De sang frais et du bon sens plein, 
Ne plus souffrir, câlin, malin.
Félin, que des chagrins passés. 

Se méfier de tout souci 
Sauf de tel que l’Église enjoint, 
Mettre sa conscience au point 
Pour écrire ce livre-ci.

III

Il faut toujours être meilleur 
Que l’homme que l’on voudrait être
Et qu’on souhaite de paraître, 
Dans l’enthousiasme et dans l’heur

De la vertu sans cesse accrue, 
Tandis qu’en bas la vanité 
D’une trop vraie humanité 
Se sent par degrés disparue… 

Certainement, le Sage doit 
Aimer en outre, même hostile, 
Même affreuse, même inutile, 
La destinée où Dieu le voit 

Se perfectionner sans cesse 
Par l’effort désintéressé 
D’un cœur enfin débarrassé 
De toute l’ancienne bassesse

Mais dans l’enthousiasme et l’heur
D’être meilleur encore que d’être 
Celui qu’on veut être et paraître, 
Il faut toujours être meilleur.

IV

Les extrêmes opinions 
Qu’hier encor nous pratiquâmes 
Et qu'aujourd’hui nous renions 

Sont pourtant de nos pauvres âmes 
La vie et peut-être l’honneur, 
La vie en fleur, l’honneur en flammes. 

Le siècle et son train suborneur 
Nous corrompent si vite ensuite 
Qu’on n’en sait rien, par un bonheur. 

On se blase, l’on se croit quitte 
De tous devoirs et de tous droits. 
C’est affreux d’oublier si vite 

Ce que tu veux, ce que tu crois ; 
Pour quelle triste insouciance ! 
Ah ! Dieu, plutôt sous Votre croix,

Satan, plutôt, par la science, 
Les grandes erreurs de jadis 
Ou l’ignorante confiance

Quand j’aspirais au Paradis.

V

J’étais naguère catholique 
Et je le serais bien encor… 
Mais ce doute mélancolique !

Républicain fut le décor 
Où mon esprit joua son rôle, 
Mais cette flèche en plein essor !

J’essayai de tout, et c’est drôle 
Comme cela lasse, à la fin, 
De changer son fusil d’épaule 

Sans cible humaine ou but divin !

VI

Bah, résume ta vie 
Dans l’art calme et dans l’heur 
Du Bien qui te ravit 
Et du Beau qui ne leurre.

Ce livre est sûr de mal plaire

I

Ce livre est sûr de mal plaire
Aux trop jeunes d’entre vous,
Mais peut-être il sera doux 
À tel aussi que tolère 
Son âge encor parmi nous.

J’y formule mes idées 
En termes à point précis
Pour les gens enfin rassis 
Et las de choses tentées 
Dans un jadis indécis. 

De mots assez lapidaires 
Dans le cas de mon désir 
J’aurais bien voulu saisir 
Et fixer en salutaires 
Sentences mon déplaisir

Et mon plaisir devant telle 
Ou telle chose à mon choix,
Goethe le fit, et je crois
Pouvoir, son œuvre immortelle,
La réduire en tapinois,

En sourdine, à ma manière 
Selon mon temps et mes us 
Et mes coutumes élus 
En forme d’avant-dernière 
Ou dernière fin, sans plus…

Le poète qu’il faut être 
Et que j’ai, dit-on, été 
(Le suis-je, dites, resté ?) 
Craint de ne plus le paraître,
— Cas terrible, en vérité ! — 

Dès qu’il se sent moins sincère 
Que par trop judicieux. 
Las ! que c’est de tourner vieux !
La prudence est nécessaire :
Qu’être dupe valait mieux !

II

J’admire l’ambition du Vers Libre, 
— Et moi-même que fais-je en ce moment 
Que d’essayer d’émouvoir l’équilibre 
D’un nombre ayant deux rythmes seulement ? 

Il est vrai que je reste dans ce nombre 
Et dans la rime, un abus que je sais 
Combien il pèse et combien il encombre,
Mais indispensable à notre art français
 
Autrement muet dans la poésie 
Puisque le langage est sourd à l’accent. 
Qu’y voulez-vous faire ? Et la fantaisie 
Ici perd ses droits : rimer est pressant. 

Que l’ambition du Vers Libre hante 
De jeunes cerveaux épris de hasards ! 
C’est l’ardeur d’une illusion touchante. 
On ne peut sourire à leurs écarts.

Gais poulains qui vont gambadant sur l’herbe 
Avec une sincère gravité ! 
Leur cas est fou, mais leur âge est superbe, 
Gentil vraiment, le Vers Libre tenté !

III

Après tout, ils ont sans doute raison, 
Puisque notre vie est aux trois quarts faîte ; 
C’est à nous de leur céder la maison, 
En nous réservant toutefois le faîte. 

La jeunesse, hélas ! aime à triompher. 
Nous fûmes aussi triomphaux et jeunes. 
Sans plus qu’eux de pente à philosopher. 
Bah, qu’ils aient la faim, nous aurons les jeunes. 

Qu’ils gardent Ibsen ! Nous, c’était Hugo. 
Qu’ils soient tant et plus, nous restons les mêmes. 
N’étant pas trop vieux, n’allons tout de go 
Pas encor songer aux plongeons suprêmes. 

Laissons-les grandir. Leur art mûrira : 
Ils ne viennent que d’entrer dans le temple,
Et notre mort pleurée approuvera 
Ceux à qui nous avons donné l’exemple.

Lourd comme un crapaud, léger comme un oiseau

Lourd comme un crapaud, léger comme un oiseau
Exquis et hideux, l’art japonais effraie 
Mes yeux de Français dès l’enfance acquis au 
Beau jeu de la Ligne en l’air clair qui l’égaie. 

Au cruel fracas des trop vives couleurs,
Dieux, héros, combats, et touffus gynécées, 
Je préférerais, d’entre les œuvres leurs, 
Telles scènes d’un bref pinceau retracées.
 
Un pont plie et fuit sur un lac lilial, 
Un insecte vole, une fleur vient d’éclore, 
Le tout fait d’un irait unique et génial. 
Vivent ces aspects que l’esprit seul colore ! 

Si je blasonnais cet art qui m’est ingrat 
Et cher par instants, comme le fit Racine 
Formant son écu d’un cygne et non d’un rat,
Je prendrais l’oiseau léger, laissant le lourd crapaud dans sa piscine.

J’ai fais un vers de dix-sept pieds !

J’ai fait un vers de dix-sept pieds ! 
Moréas, ne triomphez pas, 
Vous, de tous les chers émeutiers, 
Le seul dont j’aime les ébats, 

Dont j’aime et dont j’admire l’heur 
Dans la pensée et dans les mots 
(Les autres, oui, j’admire leur 
Bravoure, mais c’est tout mon los). 

Mon vers n’est pas de dix-sept pieds, 
Il est de deux vers bien divers, 
Un de sept, un de dix. Riez.
Du distinguo : c’est bon, rire. Et c’est meilleur encore, aimer vos vers

Mon âge mûr qui me grommelle

Mon âge mûr qui ne grommelle 
En somme qu’encore très pou 
Aime le joli pêle-mêle 
D’un ballet turc ou camaïeu

Ou tout autre, fol et sublime 
Tour à tour comme en même temps 
Surtout si vient la pantomime 
S’ébattre en jeux concomitants, 

Jeux de silence et de mystère 
Que la musique rend déjà 
Plus muets, et dont l’art va taire 
Mieux le secret, qu’il ne lâcha 

Qu’à l’oreille de Colombine 
Ou de l’indolente Zulmé : 
Pour l’amant, qu’il se turlupine 
Donc à tort ! Puisqu’il est l’aimé !

La jalousie, — un sultan sombre
Et piteux sous l’or du caftan,
Scaramouche tout noir dans l’ombre,
Ou tel splendide capitan, — 

Se démène parmi les danses 
D’épithalame et de joyeux 
Pourchas légers entre les denses 
Ronds de jupe essorés aux cieux,

Plaisirs des yeux, plaisirs de tête 
Qu’un vif orchestre exalte encor,
Donnez au vieillissant poète 
L’illusion dans le décor.

Après les chants d’église et les airs militaires

Après les chants d’église et les airs militaires 
Plus près d’être pareils qu’on ne croit en effet,
Les uns vous pénétrant de délices austères,
Les autres, feu puissant, clair, pur, dans les artères,
Dès le premier soupir jusqu’au dernier chevet,

Après, dis-je, ces deux entières préférences. 
Ce que j’aime parfois en fait de bruit humain 
C’est l’instrument qu’un pauvre éveille sous sa main,
Bruit humain, fait de cris et de lentes souffrances 
Dans le soleil couchant au loin d’un long chemin,

Rue ou roule, emplissant la banlieue et la ville 
De son chant toujours triste en dépit du morceau :
Est-ce espoir qui s’endort, est-ce révolte vile ?
Ah ! plutôt n’est-ce pas l’escorte qui défile 
Des rêves, revenus de la tombe au berceau 

Et qui vont du berceau retourner à la tombe, 
Sans fin, sans lieu, soleil couchant jamais éteint, 
Rue ou route qu’un horizon d’automne étreint, 
Perpétuel, heure arrêtée, âme que plombe 
Et surplombe un ennui qu’on ignore et qu’on craint.

Il ne me faut plus qu’un air de flûte

Il ne me faut plus qu’un air de flûte, 
Très lointain en des couchants éteints. 
Je suis si fatigué de la lutte 
Qu’il ne me faut plus qu’un air de flûte 
Très éteint en des couchants lointains. 

Ah, plus le clairon fou de l’aurore ! 
Le courage est las d’aller plus loin. 
Il veut et ne peut marcher encore 
Au son du clairon fou de l’aurore : 
C’est d’un chant berceur, qu’il a besoin. 

La rouge action de la journée 
N’est plus qu’un rêve courbaturé 
Pour sa tête encor que couronnée, 
Et la victoire de la journée 
Flotte en son demi-sommeil lauré.

Femme, sois à ce héros qui bute 
D’avoir marché sans cesse en avant, 
L’huile sur son corps après la lutte, 
— Plus du clairon fou : la molle flûte ! 
La paix dans son cœur dorénavant.

Ton illogisme vainqueur

Ton illogisme vainqueur
Mène, où ça ? ma pauvre barque,
Je suis les lois d’un monarque 
Plus fol encor que mon cœur. 

Mais j’ai ratiociné 
Tant que je finis par croire 
À de l’art conjuratoire 
Et que je suis destiné

Cette chance et ce guignon 
Qui se disputent ma vie,
Sont-ce, en la route suivie,
L’ange ou le faux compagnon,

Ou tout simplement mon tort 
Propre et l’incertain moi-même ?…
Bah ! que ma règle suprême 
Soit nous, discors ou d’accord !

Être tout de beauté, tout de bonté

Être tout de beauté, tout de bonté, 
Été naïf, vouloir l’être resté ; 

Contempler et jouir comme de soi 
Non sans une espèce de quant à moi ; 

Se fier à la pente naturelle 
Avec peut-être peu compter sur elle ; 

Falloir, de par un pur devoir à rendre, 
Ce devoir, néanmoins y condescendre ; 

Se sentir maître, au fond, de l’action, 
Après, pourtant, telle étroite option, 

La tâche est douce, elle est bien rude aussi, 
Couronne d’or, immortelle et souci,

Sceptre de diamants couleur de larmes,
Grandeur, belles, oui, mais imbelles armes,

Lois qu’on va dicter, mais plutôt en rêve !
Voir se noyer ses vaisseaux de la grève,

Amiral dont la mer n’a pas voulu
Et qui l’a déposé sur le rivage

Inattendu de quelque île sauvage
Pour le régal de l’habitant goulu.

C’est le conflit, c’est le contact

C’est le conflit, c’est le contact,
Point, hélas ! dans le sens exact 
De l’acception militaire. 
Non, le contact avec la gent 
D’airs faux et d’hypocrite argent 
Et tout ce dégoût qu’il faut taire. 

On est fier : encor il faut bien. 
Pour équilibrer son maintien 
En face d’une telle vie. 
Ne point paraître ce qu’on vaut,
Trop : il faut bien, pas trop ne faut. 
Le juste milieu nous convie. 

On fut jeune et l’on l’est encore,
Cœur de diamant, âme d’or 
Pur et dur, un trésor à prendre…
Mais par qui ? pour qui ? Que non pas !
On ne l’aura pas sans combats 
Ce trésor qui n’est pas à vendre. 

C’est le contact, c’est le conflit 
Dans le sens, pur alors, qu’on lit 
Sur l’or lucide dos batailles. 
Fi des faciles compromis !
Vivent de dignes ennemis 
Pour d’honorables funérailles !

La ville que Vauban orna d’un beau rempart

La ville que Vauban orna d’un beau rempart, 
De ceux qu’on démolit chez nous pour la plupart 
En y campant dessus industrie et culture 
Au lieu de la vivace et profonde verdure 
Avec ses murs moins hauts que les hauts peupliers 
Le long du ruisseau clair aux bouillons familiers, 
La ville a l’air, depuis qu’elle est ainsi châtrée, 
Tout autre. Ce n’est plus la tourelle échancrée ; 
Le grand beffroi dit l’heure, on croirait, pour ailleurs ; 
Tambours et clairons ont comme des sons railleurs 
De ne plus avoir un écho pour leur répondre ; 
Et le soleil couchant, quand dans l’or il s’effondre. 
Pleure du sang de n’ouïr plus, les soirs d’été. 
Monter vers lui l’air sombre et gai répercuté.

On finit par s’habituer

I

On finit par s’habituer 
À la trahison de la femme : 
La vie est faite de la trame 
Qu’elle tisse pour nous tuer. 

Après un temps d’apprentissage 
On ne saurait plus s’en passer ; 
D’abord on s’escrime à ruser, 
Puis c’est la fatigue, — et l’usage. 

La colère cède à l’ennui 
Qui fait bientôt place à la presque 
Indifférence moins grotesque 
Que tel transport qui nous a nui. 

Puis la confiance charmante 
Revient, avec le correctif
D’à son tour se rendre fautif 
Et de tromper aussi l’amante 

Qui vous pardonne s’il lui plaît. 
Mais tout cela c’est pitoyable ! 
Il n’y a guère que le diable 
Pour profiter d’un jeu si laid. 

Bah ! mieux vaudrait sans tant d’ambage 
Se fermer, sans plus biaiser, 
Les yeux d’un mutuel baiser. 
Car le plus fin c’est le plus sage.

II

Ou plutôt vieux comme je suis 
Ou comme je commence à l’être, 
Il me siérait moins, tant c’est depuis ! 
D’évoquer les anciens déduits 
Que de penser au grand Peut-être. 

La mort qui n’est pas loin de moi, 
Moins loin que tant de cœurs en fuite, 
Elle est fidèle, elle a ma foi, 
J’ai la sienne. Oh ! mourir plus vite 

Que de cette vie au souci 
Perpétuel, sale besogne, 
Noire bourrelle sans merci 
Qui vous flatte et vous trompe aussi. 
— Vite au charnier, vieille charogne !

III

D’autant plus vite que la souffrance 
Peut-être a suffi pour expier 
Tels torts menus que t’ont fait payer 
La Femme, — et tout ! pour plus d’assurance. 

Et l’on verrait, lors, l’ancien pêcheur 
Conformément aux seules Promesses 
Se reposer ès saintes liesses 
De tant de mollesse et de langueur.

Quand nous irons, si je dois encore la voir

Quand nous irons, si je dois encor la voir,
Dans l’obscurité du bois noir,

Quand nous serons ivres d’air et de lumière 
Au bord de la claire rivière,

Quand nous serons d’un moment dépaysés
De ce Paris aux cœurs brisés,

Et si la bonté lente de la nature 
Nous berce d’un rêve qui dure,

Alors, allons dormir du dernier sommeil !
Dieu se chargera du réveil.

J’ai beau faire la paix partout

’ai beau faire la paix partout, 
Dans ma vie ainsi qu’en mon âme, 
Beau vouloir me tenir debout, 

Fort d’un équilibre où la femme 
Et l’homme ont la meilleure part, 
Grâce au bon Oubli, seul dictame, 

Seul népenthès et seul départ 
D’avec l’atrocité du monde 
Sous sa céruse et sous son fard ; 

Une inquiétude profonde 
M’agite en douloureux transports 
Entre le sublime et l’immonde : 

— Deux écueils, Seigneur, ou deux ports ?

Quand tu me lis une histoire

Quand tu me lis une histoire 
Empruntée aux « Faits Divers », 
Je me refuse à la croire — 
Le monde est-il si pervers ? 

Les gens sont-ils si sublimes ? 
(J’en conviens, moins fréquemment) 
Tu lis ou plutôt tu limes 
Et ce m’est un agrément 

Alors qu’à mon tour je lime, 
En travail d’un vers, subtil, 
D’ouïr, marquant mètre et rime, 
Ce martellement gentil, 

Et puis encore ce que j’aime 
Dans ces récits fabuleux 
C’est d’être fabuleux même, 
Contes noirs ou contes bleus.

C’est ainsi que sous la lampe 
Passent les heures du soir… 
La nuit s’est faite : je rampe 
Me coucher, las de m’asseoir.

Les Salons, où je ne vais plus

I

Les salons, où je ne vais plus, 
M’ont toujours fait, pétards, fusées, 
Etrons de Suisse, soleils, flux 
Et reflux de mises osées, 

Traînes, pompons, rubans, volants, 
(Las ! quoi ! pas de décolletage ?) 
L’effet de feux mirobolants 
D’artifice et d’art ! — avantage 

Précieux, mais où les talents ?

II

Il y en a beaucoup, je crois 
Mais je préfère les Musées, 
Calmes et frais Champs-Élysées, 
À ces foires de choix du Choix. 

Le Génie enfin reconnu, 
— Posthumement, il faut le dire 
Mais c’est la mode et j’en soupire, —
Du moins ici se montre à nu,

Qui me console, quant à moi, 
D’admirer moins fort les modernes, 
Ganache parmi les badernes 
Qui m’en tiens à la vieille foi 

Du Soleil contre les lanternes.

III

Michel-Ange, Germain Pilon, Puget, Pigalle,
Toile ma statuaire, et rira qui voudra :
En eux j’aime la Force et l’Effort qui l’égale. 
Tout en goûtant ailleurs la Grâce, et cætera. 

En eux avec la Vie intense, aussi, j’adore 
Peut-être mieux, de vrai ! ce précis Incertain,
Et c’est pourquoi de tous nos modernes encore 
Je préfère, robuste et mystique, Rodin.

IV

Une vache accroupie, un taureau qui se dresse, 
Des brebis toutes laine, un berger tout paresse, 
Un paysage plat, comme inutile, au fond. 
Le taureau, seul, vit, mais comme il vit ! Que lui font 
Les bêtes et les gens ? N’a-t-il pas sa femelle ? 
Il est fort triplement, et sa corne Jumelle 
Corrobore un élan qu’il fait mortel s’il faut. 
Or, sachant, les combats, le prix que cela vaut, 
Des plus paisiblement il s’étire, il aspire 
L’air pur où s’alimente et s’assure son ire.

V

 
Je revois, quasiment triomphal,
La ville où m’attendaient ces mois d’ombres 
Mon malheur était lors sans rival,
Mes soupirs, qui put compter leur nombre ?
Je revois, quasiment triomphal,
Ces murs qu’on avait cru d’oubli sombre. 

Le train passe, blanc panache en l’air,
Devant la rougeâtre architecture 
Où je vécus deux fois en hiver 
Et tout un été… sans aventure. 
Le train passe, blanc panache en l’air,
Avec moi me carrant en voiture. 

Sans aventure, ah ! oui, ces hivers 
Et cet été ! D’aventure, aucune !
Moi qui les aime à titres divers,
En plein scandale ou bien sous la lune. 
Sans aventure, ah ! oui, ces hivers 
Et cet été ! La morte infortune ! 

— Ingrat cœur humain ! mais souviens-toi, 
Gentleman improvisé qui files. 
Mais souviens-toi donc : ici la Foi 
T’investit, loin du péché des villes. 
Ingrat cœur humain ! mais souviens-toi 
Qu’ici la Foi but tes larmes viles. 

Le train passe et les temps sont passés, 
Mais je n’ai pas oublié la bonne, 
La grande aventure, et je le sais 
Que Dieu m’a béni plus que personne. 
Le train passe et les temps sont passés. 
Mais l’heure de grâce reste et sonne.

VI

Cette Ronde de nuit qui du reste est de jour,
De quel jour de mystère avec quelle ombre autour ?
Crépuscule du soir ou du matin, qu’importe 
À l’œil charmé du bon ou bien du mauvais tour — 
Un tas d’hommes armés sort d’une vague porte 
Dans un dessein terrible ou quelque but farceur. 
Ce vieux batteur de caisse évoque un franc suceur. 
Là-bas tel imprudent agace une arquebuse. 
Un fier porte-drapeau derrière lui s’amuse 
À brandir du satin jaune et noir sur le ciel. 
Et l’enfant-aux-poissons (comme dans Raphaël,
Mais flamande déjà plus que toute une Flandre) 
S’effraie et rit, tandis que, las un peu d’attendre,
Les chefs, soie et bijoux, le premier long et sec,
L’autre court et ventru, délibèrent avec 
L’air de seigneurs qui n’ont plus grand chose à se dire. 

On s’égaie, on s’étonne, on frissonne, on admire.

VII

Vénus, debout sur le plus beau des coquillages, 
Aborde, nue, au moins sauvage des rivages, 
Ne cachant de son corps avec ses longs cheveux 
Que juste ce qu’il faut pour qu’y dardent nos vœux. 
Une nymphe, éployant un clair manteau, s’empresse 
À vêtir en impératrice la déesse ; 
Et deux Vents accourus, beaux éphèbes ailés, 
Des cuisses et des bras l’un à l’autre mêlés, 
De qui l’un est Zéphyre et dont l’autre est Borée, 
Soufflent l’amour divin et la haine sacrée. 
Le visage est suavement indifférent, 
Comme attendant le culte à venir que lui rend 
Toute herbe et toute chair depuis cette naissance, 
Et se pare d’une inquiétante innocence.

Grâce à toi je me vois le dos

Grâce à toi je me vois de dos 
Et bien plus vraisemblable :
Dans ton croquis, à pas lourdauds,
Je m’en vais droit au diable. 

Moi qui, pour la postérité,
Sur une aile céleste 
Croyais m’envoler, révolté,
Fatal et tout le reste !

— Je m’achemine doucement,
D’un trot plus ou moins leste. 
Attiré par un double aimant. 
Vers le diable… ou le reste.

Car, après tout, l’amour n’y pensons plus

Car, après tout, l’amour, n’y pensons plus,
C’est chimère à notre âge. 
On a fixé des vœux irrésolus,
On vit calme, on dort sage. 
On n’a plus ces cœurs qu’il ne faut plus. 
Raison et mariage ! 

On perd tranquillement l’illusion. 
On s’attendrit pour cause, 
Et bien rare s’en fait l’occasion,
Non qu’on tourne au morose, 
Mais c’est vrai qu’on n’a plus l’illusion. 
Crise et métamorphose ! 

D’être heureux très, de par ce procédé 
Du reste involontaire 
Point n’en réponds. (Me l’a-t-on demandé ?)
Mais c’est dur de se faire 
Très malheureux de par ce procédé : 
S’abstenir et se taire !

S’abstenir de désirs, se taire sur 
La joie et la souffrance,
C’est, croyez-moi, sans doute le plus sûr 
De la nôtre espérance. 
S’abstenir de désirs, se taire sur : 
Paix et persévérance !

C’est la bonté naïve et rude un peu

C’est la bonté naïve et rude un peu, 
Le dévouement qui ne marchande ni 
Reproche vif ni pardon infini ; 

C’est l’amitié commencée en le bleu 
D’une amourette orageuse parfois 
Maintenant amitié, dis-je, de choix. 

La vie étant, à la force, à présent,
Douce plutôt aux cœurs atténués, 
Nous dit : Enfants vieillis, continuez,

Sens apaisés, cœurs jeunes s’apaisant. 
Et vous verrez, au très proche horizon,
Poindre et grandir, si bonne ! la raison.

J’ai fait jadis le coup de poing

J’ai fait jadis le coup de poing 
Pour Wagner alors point au point, 
Et pour les Goncourt, plus d’un soir. 

Aux Funérailles de l’Honneur 
Je me battais avec bonheur. 
Comme à celles de Victor Noir. 

La Guerre me vit frémissant 
Et la Commune bondissant : 
Je fus de tous emballements. 

Je crois même que Boulanger 
M’enthousiasma, pour changer ! 
Et la Femme donc, dieux cléments ! 

Aujourd’hui que je me fais vieux. 
Je caresse encor de mon mieux 
Ces chères chimères du cœur

Et de la tête, — « Et tu fais bien, 
Me dit quelque chose d’ancien 
Et d’éternellement vainqueur, 

« L’âme, c’est la tête et le cœur. »

L’incompréhensibilité

L’incompréhensibilité 
Non des doctrines qui sont nulles 
Mais de leurs gueuses de formules, 
Leur gueux de manque de gaieté, 

Leurs plaisirs qui pour moi, bonhomme,
Constitueraient le pire ennui, 
L’idéal noir qui leur a lui, 
Leurs Èves sans même la pomme, 

M’ont éloigné de ces petits. — 
Ceux de mon âge meurent, meurent,
Et chez les rares qui demeurent, 
L’élite abonde en abrutis. 

Quel sort ! C’en serait à se pendre 
Si ne me tenait arrêté 
L’incompréhensibilité 
D’à mon tour pouvoir me comprendre.

Schopenhauer m’embête un peu

Schopenhauer m’embête un peu 
Malgré son épicuréisme, 
Je ne comprends pas l’anarchisme, 
Je ne fais pas d’Ibsen un dieu. 

Ce n’est pas du Nord aujourd’hui 
Que m’arriverait la lumière ; 
Du Midi non plus, en dernière 
Analyse. Du centre, oui ? 

Non. Mais d’où ? De nulle part, — là ! 
Rien n’égale ma lassitude :
Laissez-moi rentrer dans l’étude 
Du bon vieux temps qu’on persifla. 

J’aime les livres lus et sus, 
Je suis fou de claires paroles, 
J’adore la Croix sans symboles : 
Un gibet et Jésus dessus.

Tête de pipe

C’est une face avec un casque en cône tronqué 
Sur le front de laquelle une main mal définie 
Au bout d’un bras de rêve a sa poigne en harmonie,
Comme contre la pensée un geste un peu manqué. 

Un sein, est-ce le gauche ou le droit ? mais un seul sein,
Pend sous le bras, — battant pour qui ? Près d’allaiter qu’est-ce 
Et du cône tronqué du casque un panache laisse 
Monter parfois dans son allure un cœur sans dessein…

Au bas d’un croquis

Paul Verlaine (Félix Régamey pingebat
Muet, inattentif aux choses de la rue,
Digère, cependant qu’au lointain on se bat,
Sa ration de lard et son quart de morue.

Sur un portrait de Lamartine

Lamartine, selon Cazals et selon moi, 
— D’après une gravure un peu contemporaine, — 
Érige un buste noir et souple que refrène 
La redingote stricte et noble de l’emploi. 

Mais le dessinateur a paré, pour l’allure 
D’une si juste apothéose d’un tel dieu,
Le fond qui convenait seul à cette figure. 
Avec son bras derrière et l’œil lier, d’un tel bleu 

Céleste comme un lac, humain comme un martyre,
Qu’en vérité, blessé d’un trait mortel au flanc, 
On dirait d’un vieil aigle en sa gloire et son ire 
Dressant sur l’infini son bec dur au chef blanc.

Sur un exemplaire des « Odes funambulesques »

« Clown étonnant, en vérité ! » 
Mais plus admirable poète 
Qui, malgré Pascal, est resté 
L’ange tout en faisant la bête.

À propos d’un des plus beaux vers de Catulle Mendès

Lorsque j’étais un tout petit poète en marche, 
En herbe bien plutôt et perdu dans l’espace, 
« Je t’aime ! dit l’essaim des colombes qui passe. » 
Et ce vers fut vraiment ma colombe de l’arche.

Sur un exemplaire des « Fleurs du mal »

Je compare ces vers étranges 
Aux étranges vers que ferait 
Un marquis de Sade discret 
Qui saurait la langue des anges.

Après tout, si tu fus heureux

I

Après tout, si tu fus heureux 
D’avoir confiance, c’est bien 
Joli, ça. Le reste n’est rien 
Qu’oubli… vers d’autres buissons creux. 

Bref, elle t’a fait bons visages,
Tous les trois gais et souriants,
Et, de plus, les meilleurs usages 
Des trois aux moments bienséants.
 
Tu lui dois des mercis géants,
Et serais conspué des sages 
De n’aimer, après ces passages, 
Le plus accueillant des visages, 
Le moins farouche des séants,
Et le plus beau des paysages.

— Je les aime en d’autres visages, 
Séants et surtout paysages, 
Et je me console céans. »

II

« Vieux fou, songe plutôt au jour 
Où tu devras régler ton compte, 
Et surtout, va, sans fausse honte, 
Quitte ces amours-ci pour l’éternel Amour.

— « Je le veux, et vraiment j’abjure 
La chair blanche et ce noir velours, 
Et j’offre à l’Amour des amours, 
D’un cœur encor tout simple, une ardeur toute pure. »

III

« L’amitié, j’y renonce aussi 
En partie : elle est décevante. 
Ne débutant comme servante 
Que pour tourner catin dès son coup réussi.

« Mon Dieu laissez rentrer en grâce 
Un pécheur qui revient de loin !
À moi la tâche, à vous le soin 
D’encourager au bien cette âme qui se lasse. 

« J’ai prouvé que je vous aimais :
J’entends vous aimer plus encore 
Et du soir jusques à l’aurore,
Et de l’aurore au soir vous servir à jamais. 

« Toutes occupations autres 
Que de vous chercher, je les hais… 
Voyez que je ne mens pas… Mais 
Guidez-moi, que je puisse encore être des vôtres. »

Ces quelques vers, libelle imbelle

Ces quelques vers, libelle imbelle,
Commencés chrétiennement 
Bien qu’un peu pédantesquement, 
En somme font une fin belle. 

Après avoir vagabondé, 
Malgré de trop strictes promesses, 
Dans passablement de prouesses 
D’où leur nom sortit galvaudé, 

Leur beau renom de vers bien sages 
Que d’aucuns voudraient anodins, 
Mais encor mieux que trop badins 
Ou trop férus en tels passages, 

Ils en reviennent, ces vers miens, 
Contrits de toutes les manières, 
Arborant les seules bannières, 
Vexilla regis, en chrétiens.

En pénitents, vœux et pratique 
Qui se retirent du démon 
Et, débutant par un sermon, 
Se parachèvent en cantique… 

Fasse Dieu qui voit l’avenir,
À l’auteur de ce petit livre 
Qui, lui non plus, ne sut pas vivre,
La grâce aussi de bien finir.

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