Qu’est-il donc arrivé de funeste à Métanthe ?

Rien au dehors, tout au dedans.

Ses affaires vont à souhait ; tout le monde cherche à lui plaire.

Quoi donc ? c’est que sa rate fume.

Il se coucha, hier, les délices du genre humain ; ce matin, on est honteux pour lui, il faut le cacher.

En se levant, le pli d’un chausson lui a déplu : toute la journée sera orageuse et tout le monde en souffrira.

Il fait peur, il fait pitié : il pleure comme un enfant, il rugit comme un lion.

Une vapeur, maligne et farouche, trouble et noircit son imagination, comme l’encre de son écritoire barbouille ses doigts.

N’allez pas lui parler des choses qu’il aimait le mieux il n’y a qu’un moment : par la raison qu’il les a aimées, il ne les saurait plus souffrir.

Les parties de divertissement qu’il a tant désirées lui deviennent ennuyeuses, il faut les rompre.

Il cherche à contredire, à se plaindre, à piquer les autres ; il s’irrite de voir qu’ils ne veulent point se fâcher.

Souvent, il porte ses coups en l’air, comme un taureau furieux, qui, de ses cornes aiguisées, va se battre contre les vents.

Quand il manque de prétexte pour attaquer les autres, il se tourne contre lui-même : il se blâme, il ne se trouve bon à rien, il se décourage ; il trouve fort mauvais qu’on veuille le consoler.

Il veut être seul et ne peut supporter la solitude.

Il revient à la compagnie et s’aigrit contre elle.

On se tait : ce silence affecté le choque.

On parle tout bas : il s’imagine que c’est contre lui.

On parle tout haut : il trouve qu’on parle trop et qu’on est trop gai pendant qu’il est triste.

On est triste : cette tristesse lui paraît un reproche de ses fautes.

On rit ; il soupçonne qu’on se moque de lui.

Que faire ?

Être aussi ferme et aussi patient qu’il est insupportable et attendre, en paix, qu’il revienne demain, aussi sage qu’il était hier.

Cette humeur étrange s’en va comme elle vient.

Quand elle le prend, on dirait que c’est un ressort de machine qui se démonte tout à coup ; il est comme on dépeint les possédés ; sa raison est comme à l’envers : c’est la déraison elle-même, en personne.

Poussez-le, vous lui ferez dire en plein jour qu’il est nuit ; car il n’y a plus, ni jour, ni nuit, pour une tête démontée par son caprice.

Quelquefois, il ne peut s’empêcher d’être étonné de ses excès et de ses fougues.

Malgré son chagrin, il sourit des paroles extravagantes qui lui ont échappé.

Mais, quel moyen de prévoir ces orages et de conjurer la tempête ?

Il n’y en a aucun ; point de bons almanachs pour prédire ce mauvais temps.

Gardez-vous bien de dire : « Demain, nous irons nous divertir dans un tel jardin ; » l’homme d’aujourd’hui ne sera point celui de demain ; celui qui vous promet maintenant disparaîtra tantôt : vous ne saurez plus où le prendre pour le faire souvenir de sa parole ; en sa place, vous trouverez un je ne sais quoi, qui n’a ni forme, ni nom, qui n’en peut avoir et que vous ne sauriez définir deux instants de suite de la même manière.

Étudiez-le bien, puis dites-en tout ce qu’il vous plaira : il ne sera plus vrai, le moment d’après, que vous l’aurez dit.

Ce je ne sais quoi, veut et ne veut pas ; il menace, il tremble ; il mêle des hauteurs ridicules avec des bassesses indignes.

Il pleure, il rit ; il badine, il est furieux.

Dans sa fureur la plus bizarre et la plus insensée, il est plaisant, éloquent, subtil, plein de tours nouveaux, quoiqu’il ne lui reste pas seulement une ombre de raison.

Prenez bien garde de ne lui rien dire qui ne soit juste, précis et exactement raisonnable ; il saurait bien en prendre avantage et vous donner adroitement le change ; il passerait d’abord, de son tort au vôtre et deviendrait raisonnable, pour le seul plaisir de vous convaincre que vous ne l’êtes pas.

C’est un rien qui l’a fait monter jusques aux nues ; mais ce rien, qu’est-il devenu ? il s’est perdu dans la mêlée ; il n’en est plus question : il ne sait plus ce qui l’a fâché, il sait seulement qu’il se fâche et qu’il veut se fâcher ; encore même, ne le sait-il pas toujours.

Il s’imagine souvent que tous ceux qui lui parlent, sont emportés et que c’est lui qui se modère, comme un homme qui a la jaunisse, croit que tous ceux qu’il voit sont jaunes, quoique, le jaune, ne soit que dans ses yeux.

Mais, peut-être qu’il épargnera certaines personnes auxquelles il doit plus qu’aux autres et qu’il paraît aimer davantage ?

Non, sa bizarrerie ne connaît personne : elle se prend sans choix à tout ce qu’elle trouve ; le premier venu lui est bon pour se décharger : tout lui est égal, pourvu qu’il se fâche ; il dirait des injures à tout le monde.

Il n’aime plus les gens, il n’en est point aimé ; on le persécute, on le trahit ; il ne doit rien à qui que ce soit.

Mais attendez un moment, voici une autre scène.

Il a besoin de tout le monde ; il aime, on l’aime aussi ; il flatte, il s’insinue, il ensorcelle tous ceux qui ne pouvaient plus le souffrir ; il avoue son tort, il rit de ses bizarreries, il se contrefait ; et vous croiriez que c’est lui-même, dans ses accès d’emportement, tant il se contrefait bien.

Après cette comédie, jouée à ses propres dépends, vous croyez bien qu’au moins, il ne fera plus le démoniaque.
Hélas ! vous vous trompez : il le fera encore ce soir, pour s’en moquer demain, sans se corriger.

Fénelon

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