Voici une belle sélection de poèmes sur le mois de novembre.

Visitez notre Boutique

  • Articles en cuir faits main : marque-pages, carnets de notes, porte-pages…
  • eBooks : anthologies, idées pour créer de la poésie, livres de coloriage...
  • Poèmes personnalisés.
Découvrez nos magnifiques marque-pages

Novembre - Victor Hugo

Quand l'Automne, abrégeant les jours qu'elle dévore,
Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore,
Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu,
Que le bois tourbillonne et qu'il neige des feuilles,
Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,
Comme un enfant transi qui s'approche du feu.

Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d'orient s'éclipse, et t'abandonne,
Ton beau rêve d'Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l'angle noirci des toits.

Alors s'en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L'Arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal !

Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,
Cités aux dômes d'or où les mois sont des lunes,
Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,
Tout fuit, tout disparaît : - plus de minaret maure,
Plus de sérail fleuri, plus d'ardente Gomorrhe
Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !

C'est Paris, c'est l'hiver. - A ta chanson confuse
Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.
Dans ce vaste Paris le klephte est à l'étroit ;
Le Nil déborderait ; les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
A ce soleil brumeux les Péris auraient froid.

Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
- N'as-tu pas, me dis-tu, dans ton cœur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m'ennuie
A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d'or !

Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ;
Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes,
Entre mes souvenirs je t'offre les plus doux,
Mon jeune âge, et ses jeux, et l'école mutine,
Et les serments sans fin de la vierge enfantine,
Aujourd'hui mère heureuse aux bras d'un autre époux.

Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines,
Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ;
Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,
Et qu'à dix ans, parfois, resté seul à la brune,
Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune,
Comme la fleur qui s'ouvre aux tièdes nuits d'été.

Puis tu me vois du pied pressant l'escarpolette
Qui d'un vieux marronnier fait crier le squelette,
Et vole, de ma mère éternelle terreur !
Puis je te dis les noms de mes amis d'Espagne,
Madrid, et son collège où l'ennui t'accompagne,
Et nos combats d'enfants pour le grand Empereur !

Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille
Morte à quinze ans, à l'âge où l'œil s'allume et brille.
Mais surtout tu te plais aux premières amours,
Frais papillons dont l'aile, en fuyant rajeunie,
Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,
Essaim doré qui n'a qu'un jour dans tous nos jours.

Mois de novembre - François Coppée

Captif de l'hiver dans ma chambre
Et las de tant d'espoirs menteurs,
Je vois dans un ciel de novembre,
Partir les derniers migrateurs.

Ils souffrent bien sous cette pluie ;
Mais, au pays ensoleillé,
Je songe qu'un rayon essuie
Et réchauffe l'oiseau mouillé.

Mon âme est comme une fauvette
Triste sous un ciel pluvieux ;
Le soleil dont sa joie est faite
Est le regard de deux beaux yeux ;

Mais loin d'eux elle est exilée ;
Et, plus que ces oiseaux, martyr,
Je ne puis prendre ma volée
Et n'ai pas le droit de partir.

Rayon de novembre - Albert Lozeau

Comme novembre est doux, ce matin, dans la brume…
Le soleil, entre deux nuages gris, s’allume
Et s’éteint comme sous la paupière un regard.
On dirait que l’Eté rôde au loin, quelque part…
C’est son haleine qui voltige tiède et lente,
Moins le parfum hier encore respiré
Dans le brouillard ténu de la ville bruyante ;
Et c’est comme un retour de septembre égaré
Mais les arbres n’ont plus de feuilles ; la lumière
N’y fait plus resplendir ses flammes coutumières,
Et la pensée en pleurs songe sur un tombeau…

C’est un jour condamné, comme un enfant trop beau,
Tardivement venu contre toute espérance,
Et qui meurt en laissant aux yeux sa souvenance.
Dans la procession des jours, jour attardé
Par le plaisir de s’être vu tant regardé,
Quand il passait joyeux par les champs à l’automne,
Derrière ses aînés graves et monotones.
Le voilà solitaire au seuil du rude hiver,
Insouciant, comme il marchait sur le sol vert !
Mais c’en est fait déjà de cette douceur grise :
Le soir prompt et la nuit, procédant par surprise,
Ont cueilli le beau jour vagabond qui riait.

Et l’enfant pâle meurt en l’infini muet…

Novembre - Émile Verhaeren

Les grand'routes tracent des croix
A l'infini, à travers bois ;
Les grand'routes tracent des croix lointaines
A l'infini, à travers plaines ;
Les grand'routes tracent des croix
Dans l'air livide et froid,
Où voyagent les vents déchevelés
A l'infini, par les allées.

Arbres et vents pareils aux pèlerins,
Arbres tristes et fous où l'orage s'accroche,
Arbres pareils au défilé de tous les saints,
Au défilé de tous les morts
Au son des cloches,

Arbres qui combattez au Nord
Et vents qui déchirez le monde,
Ô vos luttes et vos sanglots et vos remords
Se débattant et s'engouffrant dans les âmes profondes !

Voici novembre assis auprès de l'âtre,
Avec ses maigres doigts chauffés au feu ;
Oh ! tous ces morts là-bas, sans feu ni lieu,
Oh ! tous ces vents cognant les murs opiniâtres
Et repoussés et rejetés
Vers l'inconnu, de tous côtés.

Oh ! tous ces noms de saints semés en litanies,
Tous ces arbres, là-bas,
Ces vocables de saints dont la monotonie
S'allonge infiniment dans la mémoire ;
Oh ! tous ces bras invocatoires
Tous ces rameaux éperdument tendus
Vers on ne sait quel christ aux horizons pendu.

Voici novembre en son manteau grisâtre
Qui se blottit de peur au fond de l'âtre
Et dont les yeux soudain regardent,
Par les carreaux cassés de la croisée,
Les vents et les arbres se convulser
Dans l'étendue effarante et blafarde,

Les saints, les morts, les arbres et le vent,
Oh l'identique et affolant cortège
Qui tourne et tourne, au long des soirs de neige ;
Les saints, les morts, les arbres et le vent,
Dites comme ils se confondent dans la mémoire
Quand les marteaux battants
A coups de bonds dans les bourdons,
Ecartèlent leur deuil aux horizons,
Du haut des tours imprécatoires.

Et novembre, près de l'âtre qui flambe,
Allume, avec des mains d'espoir, la lampe
Qui brûlera, combien de soirs, l'hiver ;
Et novembre si humblement supplie et pleure
Pour attendrir le cœur mécanique des heures !

Mais au dehors, voici toujours le ciel, couleur de fer,
Voici les vents, les saints, les morts
Et la procession profonde
Des arbres fous et des branchages tords
Qui voyagent de l'un à l'autre bout du monde.
Voici les grand'routes comme des croix
A l'infini parmi les plaines
Les grand'routes et puis leurs croix lointaines
A l'infini, sur les vallons et dans les bois !

Les Rayons de novembre - William Chapman

De grands nuages gris estompent l’horizon ;
Le soleil jette à peine un regard à la terre ;
Les feuilles et les fleurs roulent sur le gazon,
Et le torrent gonflé gronde comme un tonnerre.

Adieu le soir serein ! adieu le matin clair !
Adieu le frais ombrage ! adieu les folles courses !
Adieu les voix d’oiseaux qui se croisent dans l’air !
Adieu le gazouillis des buissons et des sources !

Plus de gais moissonneurs attroupés dans les blés !
Plus d’amoureux rêveurs assis sous les tonnelles !
Plus de concerts la nuit sur les flots étoilés !
Dans les prés et les bois plus de parfums, plus d’ailes !

Mais parfois le soleil, déchirant les brouillards,
Verse des lueurs d’or sur les eaux et les chaumes…
Et nous croyons ouïr les oiseaux babillards,
Nous respirons partout de sauvages arômes.

L’arbre nu nous paraît se rhabiller de vert :
Le vent attiédi joue avec ses rameaux souples ;
Et dans le creux du val, de feuilles recouvert,
Il nous semble encor voir errer de joyeux couples.

Ainsi que la saison des fleurs et des amours,
Se sont évanouis mes rêves de jeunesse ;
Un nuage a passé tout à coup sur mes jours,
Dérobant un soleil qui me versait l’ivresse.

Cependant quelquefois à travers mon ciel noir
Un reflet radieux glisse à mon front morose…
Alors dans le passé lumineux je crois voir
De mes bonheurs enfuis flotter l’image rose.

Et puis devant mes yeux rayonne l’avenir ;
L’espérance renaît dans mon âme ravie…
Et le rayon qui brille un instant sur ma vie,
C’est celui que le cœur nomme le souvenir.

Novembre - William Chapman

L’érable nu frissonne, et de jaunes débris
Chaque sentier se couvre et chaque seuil s’encombre.
La rafale à travers les branches a des cris
Plaintifs comme le glas qui sanglote dans l’ombre.

Les bruits assourdissants croissent sous les grands bois
Agités et tordus comme une sombre houle.
Les hommes de chantier sont partis pour cinq mois,
Et le grand pin rugueux sous la hache s’écroule.

Un souffle sépulcral passe sur les vallons,
Les coteaux, les étangs, les forêts et les chaumes ;
Et quelquefois, la nuit, tout à coup nous tremblons
En croyant voir au loin errer de blancs fantômes.

Sous le soleil mourant tout est froid, sombre, amer,
Tout fuit dans l’air qui pleure et sur l’onde qui fume ;
Et les derniers hauts-bords, voyant poindre l’hiver,
Quittent nos ports glacés et plongent dans la brume.

Nul chantre ailé ne reste au bocage engourdi ;
Et, le soir, sur le ciel, qu’un rayon vague éclaire,
On voit se profiler, tourné vers le Midi,
Des canards migrateurs le vol triangulaire.

Au foyer chacun est morne, chacun est seul.
L’aspect du ciel blafard vous attriste et vous navre.
Et la neige déjà déroule son linceul
Sur l’arbre renversé ― comme sur un cadavre.

C’est le mois des douleurs, des regrets, des adieux.
Les cœurs sentent le froid des marbres mortuaires ;
Et des foules en deuil, des larmes dans les yeux,
Vont s’incliner devant les croix des cimetières.

Novembre - Louis-Honoré Fréchette

Jours de deuil ! Plus de nids sous le feuillage vert ;
Les chantres de l'été désertent nos bocages ;
On n'entend que le cri de l'oiseau dans les cages,
Avec les coups de bec sonores du pivert.

De jaunissants débris le gazon s'est couvert ;
Les grands bœufs tristement reviennent des pacages ;
Et la sarcelle brune, au bord des marécages,
Prend son essor pour fuir l'approche de l'hiver.

Aux arbres dépouillés la brise se lamente ;
A l'horizon blafard, l'aile de la tourmente
Fouette et chasse vers nous d'immenses oiseaux gris...

Des passants tout en noir gagnent le cimetière ;
Suivons-les, et donnons notre pensée entière,
Pour un instant, à ceux que la mort nous a pris.

Novembre - André Lemoyne

LE FILS.

Quand le froid des hivers chasse les hirondelles
Loin de notre pays, ma mère, où s’en vont-elles ?

LA MÈRE.

Mon fils, d’un vol rapide elles passent les mers.
Et retrouvent ensemble, après un long voyage,
Un ciel bleu, du soleil et de grands arbres verts.

LE FILS.

Mère, il est donc là-bas un paisible rivage
Où ne grondent jamais les tristes vents du nord ?

LA MÈRE.

Oui. — Là-bas le printemps sourit aux hirondelles ;
Là-bas les jours sont beaux, là-bas les nuits sont belles ;
Là-bas la rose blanche a des fleurs immortelles,
Et la vigne toujours garde ses raisins d’or.

LE FILS.

O ma mère, si Dieu nous eût donné des ailes,
Nous partirions tous deux comme les hirondelles ! —
J’ai froid. — Pour nous bientôt le soleil s’éteindra.
Ma mère, prions Dieu de nous donner des ailes.

LA MÈRE.

Enfant, console-toi. — Dieu nous en donnera.

Les Soleils de Novembre - Auguste Lacaussade

Un beau ciel de novembre aux clartés automnales
Baignait de ses tiédeurs les vallons vaporeux ;
Les feux du jour buvaient les gouttes matinales
Qui scintillaient dans l’herbe au bord des champs pierreux.

Les coteaux de Lormont, où s’effeuillaient les vignes,
Étageaient leurs versants jaunis sous le ciel clair ;
Vers l’orient fuyaient et se perdaient leurs lignes
En des lointains profonds et bleus comme la mer.

Lente et faible, la brise avait des plaintes douces
En passant sous les bois à demi dépouillés ;
L’une après l’une au vent tombaient les feuilles rousses,
Elles tombaient sans bruit sur les gazons mouillés.

Hélas ! plus d’hirondelles au toit brun des chaumières,
Plus de vol printanier égayant l’horizon ;
Dans l’air pâle, émanant ses tranquilles lumières,
Rayonnait l’astre d’or de l’arrière-saison.

La terre pacifique, aux rêveuses mollesses,
Après l’âpre labeur des étés florissants,
Semblait goûter, pareille aux sereines vieillesses,
Les tièdes voluptés des soleils finissants.

Avant les froids prochains, antique Nourricière,
Repose-toi, souris à tes champs moissonnés !
Heureux qui, l’âme en paix au bout de sa carrière,
Peut comme toi sourire à ses jours terminés !

Mais nous, rimeurs chétifs, aux pauvretés superbes,
De nos vertes saisons, hélas ! qu’avons-nous fait ?
Qui peut dire entre nous, pesant ses lourdes gerbes :
" Mourons ! mon œuvre est mûre et mon cœur satisfait ! "

Jouets du rythme, esprits sans boussole et sans force,
Dans ses néants la forme égara nos ferveurs ;
Du vrai, du grand, du beau nous n’aimions que l’écorce ;
Nous avons tout du fruit, tout, hormis les saveurs !

En nombres d’or rimant l’amour et ses délires,
Nous n’avons rien senti, nous avons tout chanté.
Vides sont les accords qu’ont exhalé nos lyres !
Vide est le fruit d’orgueil que notre arbre a porté !

Tombez, tombez, tombez, feuilles silencieuses,
Fleurs séniles, rameaux aux espoirs avortés !
Fermez-vous sans écho, lèvres mélodieuses !
Endormons-nous muets dans nos stérilités !

Plus de retours amers ! trêve aux jactantes vaines ! …
Oui, la Muse eût voulu des astres plus cléments !
Un sang pauvre et le doute, hélas ! glaçaient nos veines :
Nous sommes de moitié dans nos avortements.

Il faisait froid au ciel quand nous vînmes au monde,
La sève était tarie où puisaient les aïeux.
Résignons-nous, enfants d’une époque inféconde :
Nous mourons tout entiers, nous qui vivons sans dieux !

O dureté des temps ! ô têtes condamnées !
Fiers espoirs d’où la nuit et l’oubli seuls naîtront !
Eh bien, soit ! — Acceptons, amis, nos destinées :
Sans haine effaçons-nous devant ceux qui viendront !

Succédez-nous, croissez, races neuves et fortes !
Mais nous, dont vous vivrez, nous voulons vous bénir.
Plongez vos pieds d’airain dans nos racines mortes !
D’un feuillage splendide ombragez l’avenir !

Et vous, ferments sacrés des époques prospères,
Foi, liberté, soleil, trésors inépuisés,
Donnez à nos vainqueurs, oublieux de leurs pères,
Tous les biens qu’aux vaincus la vie a refusés !

Novembre - Charles Le Goffic

Je suis revenu seul par Landrellec. Voici
Qu'au soir tombant l'ajonc s'est encore épaissi
Et qu'à force d'errer dans le vent et la brume,
Si tard, sous ce ciel bas fouetté d'une âpre écume,
Et d'entendre à mes pieds sur le varech amer
Toujours, toujours ce râle obsédant de la mer,
Et de voir, quand mes yeux retournaient vers la côte,
Des peurs sourdes crisper la lande épaisse et haute
Et la brume flotter partout comme un linceul,
J'ai senti que mon mal n'était pas à moi seul
Et que la lande avec ses peurs crépusculaires.
Et qu'avec ses sanglots profonds et ses colères
La mer, et que la nuit et la brume et le vent,
Tout cela s'agitait, souffrait, était vivant,
Et roulait, sous la nue immobile et sans flamme,
Une peine pareille à la vôtre, mon âme.

Novembre - Charles Cros

Je te rencontre un soir d'automne,
Un soir frais, rose et monotone.
Dans le parc oublié, personne.

Toutes les chansons se sont tues :
J'ai vu grelotter les statues,
Sous tant de feuilles abattues.

Tu es perverse. Mais qu'importe
La complainte pauvre qu'apporte
Le vent froid par-dessous la porte.

Fille d'automne tu t'étonnes
De mes paroles monotones...
Il nous reste à vider les tonnes.

Matinée de novembre - Joseph Autran

Les brouillards sont venus, dont l'humide manteau
Charge dès le matin la plaine et le coteau :
Pâle et froide vapeur qu'à peine un rayon perce.
Les feuilles que l'eau trempe et qu'un souffle disperse,
Tourbillonnent dans l'air ; la bise à l'aigre son
S'est remise à chanter, à pleurer sa chanson.
C'est l'heure de rentrer ; rentrons. Seul dans ma chambre
Devant ces vieux chenets qu'on replace en novembre.
Je rallume un feu clair de cyprès et de houx ;
Et, je ne sais comment, amis ! Je songe à vous.

Aux beaux jours d'autrefois — les seuls que Dieu protège —
Aux beaux jours, qui pourtant sont les jours de collège,
Nous étions quatre amis ; et jamais compagnons
Dont l'histoire ou la fable a conservé les noms,
Ni Castor ni Pollux, Oreste ni Pylade,
Ne marchèrent unis de plus tendre accolade.
Émules au travail et non rivaux jaloux,
Le plus âpre latin s'adoucissait pour nous.
Le premier finissant passait son thème à l'autre.
Aux jeux même union : vrai faisceau que le nôtre !
Laissons-les, disait-on, ce sont les quatre amis.
Or, en cet heureux temps, nous nous étions promis,
Quel que fût l'avenir, destins bons ou contraires,
De vivre ainsi toujours indivisibles frères :
Rien, parmi ces hasards qu'on devait conjurer,
Rien qui pût, ici-bas, un jour nous séparer ;
Cela fut dit, prenant le ciel en témoignage.
Ô projets ! Ô candeur des serments du jeune âge !
L'un de nous maintenant, celui qui, pâle et doux,
Semblait en ce temps-là le plus frêle de tous,
Là-bas, sur ce rivage où la France est campée,
Travaille jour et nuit du cœur et de l'épée.
Depuis six mois passés, son héroïque ennui
Voit le donjon des czars se dresser devant lui,
Et sur ses compagnons, troupe au labeur penchée,
L'obus à tout moment pleuvoir dans la tranchée.
L'autre, que son berceau, décoré d'un blason,
Reçut comme héritier d'une riche maison,
Erre au loin désormais, récoltant un pain rare
Dans une des cités au bord du Delaware.
Le sort, qui démentit sa première douceur,
A fait du fier jeune homme un humble professeur.
Le troisième, autrefois si joyeux, quand j'y pense,
Après de longs travaux goûtait la récompense.
La femme de ses vœux riait à son chevet ;
Un beau groupe d'enfants près de lui s'élevait ;
Il voyait sa maison, florissante et superbe,
Grandir : depuis trois mois, il dort, couché sous l'herbe !
Enfin, de ce cher nid d'où chacun s'envola,
Moi le dernier de tous, aujourd'hui je suis là ;
Je suis là, me chauffant devant ce feu d'épines ;
Je regarde parfois du côté des collines,
Et je vois fuir au loin quelque vol de ramiers :
Ô fuite plus rapide encore des jours premiers !
Ô tendresses des cœurs, unions éphémères !
Ô de l'homme qui passe éternelles chimères !

Novembre. - Henri-Frédéric Amiel

Beaux jours, vous n'avez qu'un temps,
Et souvent qu'une heure !
Quand gémissent les autans,
Il faut que tout meure. —
Calme-toi, cœur agité ;
Fleurs, oiseaux, joie et santé,
S'en vont ! — Dieu demeure.

Doux soleil aux rayons d'or
Égayant la chambre,
Rive où le chagrin s'endort,
Vergers couleur d'ambre,
Lac si pur, contours chéris,
Monts riants, sentiers fleuris,
Adieu ! — c'est Novembre.

Ô solitude des bois,
Calme et recueillie,
Aujourd'hui nue et sans voix,
De brouillard remplie,
Mon cœur frémit en secret,
Car en lui monte, ô forêt,
Ta mélancolie !

Frais lointains, aubes de feu,
Chants dans la vallée,
Couchants de pourpre, ciel bleu
Et nuit étoilée,
Adieu ! Novembre est vainqueur. —
Tu te voiles dans mon cœur,
Nature voilée !

Tout est gris, morne et désert :
Au ciel, plus de flamme,
Dans les champs, plus rien de vert !
Quel est donc ce drame ? —
Nature, en tes traits pâlis,
L'œil humide, hélas ! je lis
L'histoire de l'âme.

Mais le printemps reviendra
Guérir qui se traîne !
La beauté refleurira
Sur ton front, ô reine ! —
Dans ma nuit, ainsi que toi,
Je veux descendre avec foi,
Nature sereine !

Jardins de novembre - Louis Chadourne

La brume s'échevèle au détour des allées,
Un souvenir épars s'attarde et se recueille,
Il flotte une douceur de choses en allées
Un songe glisse en nous, comme un pas sur les feuilles.

Les jardins de Novembre accueillent vos amours,
Ô jeunesse pensive, Ô saison dissolvante,
Les grands jardins mélancoliques et qui sentent
La fin, la pluie - odeurs humides de l'air lourd,
De choses mortes qui retournent à la terre.

Iris mauves aux parfums âcres, aux tiges pâles,
Ployés un peu, et qui se fanent, solitaires,
Et laissent tristement pendre leurs longs pétales
Transparents, trop veinés, trop fins - comme une lèvre
Dont les baisers ont bu le sang et la tiédeur

Cherche encore une bouche où poser sa langueur.
Le grand jardin brumeux sommeille. Sourde fièvre
Ô parfums trop aigus des iris et des roses
Flétris - parfums et mort - serre chaude d'odeurs.

Tout l'univers mourant qui s'épuise en senteurs
Et puis dans la tristesse odorante des choses
Effeuillant, inclinant, chaque fleur du jardin
D'un battement furtif, égal et doux, se pose
L'aile silencieuse et lasse du déclin.

Il fait novembre en mon âme - Émile Verhaeren

Rayures d'eau, longues feuilles couleur de brique,
Par mes plaines d'éternité comme il en tombe !
Et de la pluie et de la pluie - et la réplique
D'un gros vent boursouflé qui gonfle et qui se bombe
Et qui tombe, rayé de pluie en de la pluie.

- Il fait novembre en mon âme -
Feuilles couleur de ma douleur, comme il en tombe !

Par mes plaines d'éternité, la pluie
Goutte à goutte, depuis quel temps, s'ennuie,
- Il fait novembre en mon âme -
Et c'est le vent du Nord qui clame
Comme une bête dans mon âme.

Feuilles couleur de lie et de douleur,
Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe ;
Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs,
Comme il en tombe sur mon cœur !

Avec des loques de nuages,
Sur son pauvre œil d'aveugle
S'est enfoncé, dans l'ouragan qui meugle,
Le vieux soleil aveugle.

- Il fait novembre en mon âme -

Quelques osiers en des mares de limon veule
Et des cormorans d'encre en du brouillard,
Et puis leur cri qui s'entête, leur morne cri
Monotone, vers l'infini !

- Il fait novembre en mon âme -

Une barque pourrit dans l'eau,
Et l'eau, elle est d'acier, comme un couteau,
Et des saules vides flottent, à la dérive,
Lamentables, comme des trous sans dents en des gencives.

- Il fait novembre en mon âme -

Il fait novembre et le vent brame
Et c'est la pluie, à l'infini,
Et des nuages en voyages
Par les tournants au loin de mes parages
- Il fait novembre en mon âme -
Et c'est ma bête à moi qui clame,
Immortelle, dans mon âme !

Les Saints, les Morts, les Arbres et le Vent - Émile Verhaeren

Les grand'routes tracent des croix
A l'infini, à travers bois ;
Les grand'routes tracent des croix lointaines
A l'infini, à travers plaines ;
Les grand'routes tracent des croix
Dans l'espace livide et froid,
Où voyagent les vents déchevelés
A l'infini, par les allées.

Arbres et vents pareils aux pèlerins ;
Arbres tristes et fous où l'orage s'accroche,
Arbres pareils au défilé de tous les saints,
Au défilé de tous les morts
Au son des cloches,
Arbres qui combattez au Nord
Et vents qui déchirez le monde,
Oh ! vos luttes et vos sanglots et vos remords
Se débattant et s'engouffrant dans les âmes profondes

Voici Novembre assis auprès de l'âtre,
Avec ses maigres doigts chauffés au feu ;
Oh ! tous ces morts, sans feu ni lieu,
Oh ! tous ces vents cognant les murs opiniâtres
Et repoussés et rejetés
Vers l'inconnu, de tous côtés.

Oh ! tous ces noms de saints semés en litanies,
Tous ces arbres, là-bas,
Ces vocables de saints dont la monotonie
S'allonge infiniment dans la mémoire ;
Oh ! tous ces bras invocatoires,
Tous ces rameaux éperdument tendus
Vers on ne sait quel Christ aux horizons pendu !

Voici Novembre en son manteau grisâtre
Qui se blottit de peur au fond de l'âtre
Et dont les yeux soudain regardent,
Par les carreaux cassés de la croisée,
Les vents et les arbres se convulser
Dans l'étendue effarante et blafarde.

Les saints, les morts, les arbres et le vent,
Dites comme ils se confondent dans la mémoire
Quand les marteaux sautant
A coups de bonds dans les bourdons
Jettent le deuil aux horizons,
Du haut des tours imprécatoires.

Et Novembre, près de l'âtre qui flambe,
Allume, avec des mains d'espoir, la lampe
Qui brûlera combien de soirs, l'hiver :
Et Novembre si humblement supplie et pleure
Pour attendrir le cœur mécanique des heures !

Mais au dehors, voici toujours le ciel, couleur de fer,
Voici les vents, les saints, les morts
Et la procession profonde
Des arbres fous et des branchages tors
Qui voyagent de l'un à l'autre bout du monde.
Voici les grand'routes comme des croix
A l'infini, parmi les plaines,
Les grand'routes et puis leurs croix lointaines
A l'infini, sur les vallons et dans les bois !

Dans le matin diminué - Jacques Prevel

Dans le matin diminué par le brouillard de novembre
Rassemblant péniblement des mots
Qui ne ressemblent pas à la vision des arbres
Encore de la nuit froide et pluvieuse
Je me reprends tout à coup à penser
A ce désir multiplié vainement par l'espoir

Mais je ne trouve jamais rien
Que cette colère muette et désolée
Que je refoule aussi profondément qu'une humiliation
Il fait froid
L'eau le pavé me renvoie mon ombre
Je me souviens que toute la soirée d'hier je suis resté
Près du feu avec un livre que je n'ai pas ouvert

L'Hiver - Hégésippe Moreau

Adieu donc les beaux jours ! Le froid noir de novembre
Condamne le poëte à l'exil de la chambre.
Où riaient tant de fleurs, de soleil, de gaîté,
Rien, plus rien ; tout a fui comme un songe d'été.
Là-bas, avec sa voix monotone et touchante,
Le pâtre seul détonne un vieux noël ; il chante,
Et des sons fugitifs le vent capricieux
M'apporte la moitié ; l'autre s'envole aux cieux.
La femme de la Bible erre, pâle et courbée,
Glanant le long des bois quelque branche tombée,

Pour attiser encor son foyer, pour nourrir
Encore quelques jours son enfant, et mourir.
Plus d'amour sous l'ombrage, et la forêt complice
Gémit sous les frimas comme sous un cilice.
La forêt, autrefois belle nymphe, laissant
Aller ses cheveux verts au zéphyr caressant,
Maigre et chauve aujourd'hui, sans parfum, sans toilette,
Sans vie, agite en l'air ses grands os de squelette.
Un bruit mystérieux par intervalle en sort,
Semblable à cette voix qui disait : Pan est mort !
Oui, la nature entière agonise à cette heure,
Et pourtant ce n'est pas de son deuil que je pleure
Non, car je me souviens et songe avec effroi
Que voici la saison de la faim et du froid ;
Que plus d'un malheureux tremble et se dit : « Que n'ai-je,
Pour m'envoler aussi, loin de nos champs de neige,
Les ailes de l'oiseau, qui va chercher ailleurs
Du grain dans les sillons et des nids dans les fleurs !
Vers ces bords sans hiver que l'oranger parfume,
Où l'on a pour foyer le Vésuve qui fume,
Où devant les palais, sur le marbre attiédi,
Le Napolitain dort aux rayons du midi,
Oh ! qui m'emportera ? … » Mais captif à sa place,
Hélas ! le pauvre meurt dans sa prison de glace ;
Il meurt, et cependant le riche insoucieux

De son char voyageur fatigue les essieux.
Les beaux jours sont passés ; qu'importe ! heureux du monde !
Abandonnez vos parcs au vent qui les émonde ;
Tombez de vos châteaux dans la ville, où toujours
On peut avec de l'or se créer de beaux jours.
Dans notre Babylone, hôtellerie immense,
Pour les élus du sort le grand festin commence.
Ruez-vous sur Paris comme des conquérants ;
Précipitez sans frein vos caprices errants ;
À vous tous les plaisirs et toutes les merveilles,
Le pauvre et ses sueurs, le poëte et ses veilles,
Les fruits de tous les arts et de tous les climats,
Les chants de Rossini, les drames de Dumas ;
À vous les nuits d'amour, la bacchanale immonde :
À vous pendant six mois Paris, à vous le monde ! …
Ne craignez pas Thémis : devant le rameau d'or,
Cerbère à triple gueule, elle s'apaise et dort.

Mais, pour bien savourer ce bonheur solitaire
Qu'assaisonne d'avance un jeûne volontaire,
Ne regardez jamais autour de vous ; passez
De vos larges manteaux masqués et cuirassés,
Car, si vos yeux tombaient sur les douleurs sans nombre
Qui rampent à vos pieds et frissonnent dans l'ombre,
Comme un frisson de fièvre, à la porte d'un bal,

La pitié vous prendrait, et la pitié fait mal
Votre face vermeille en deviendrait morose,
Et le soir votre couche aurait un pli de rose.
Tremblez, quand le punch bout dans son cratère ardent,
D'égarez vers la porte un coup d'œil imprudent ;
Vos ris évoqueraient un fantôme bizarre,
Et vous rencontreriez face à face Lazare
Qui, béant à l'odeur, voudrait et n'ose pas
Disputer à vos chiens les miettes du repas.
Éblouissant les yeux de l'or qui le blasonne,
Quand votre char bondit sur un pont qui résonne,
Passez vite, de peur d'entendre jusqu'à vous
Monter le bruit que font ceux qui passent dessous ;
Car voici le moment de la débâcle humaine ;
La Morgue va pêcher les corps que l'eau promène ;
L'égoïsme, en sultan, jouit et règne : il a
Des crimes à cacher, et son Bosphore est là…

Il est vrai, quelquefois une plainte légère
Blesse la majesté du riche qui digère ;
Des hommes, que la faim moissonne par millions,
En se comptant des yeux disent : Si nous voulions !
Le sanglot devient cri, la douleur se courrouce,
Et plus d'une cité regarde la Croix-Rousse.
Mais quoi ! n'avez-vous pas des orateurs fervents

Qui, par un quos ego, savent calmer les vents ;
Qui, pour le tronc du pauvre avares d'une obole,
Daignent lui prodiguer le pain de la parole,
Et, comme l'Espagnol qui montre, en l'agaçant,
Son écharpe écarlate au taureau menaçant,
Jettent, pour fasciner ses grands yeux en colère,
Un lambeau tricolore au tigre populaire ?

Oh ! quand donc viendra-t-il, ce jour que je rêvais,
Tardif réparateur de tant de jours mauvais,
Ce niveau qui, selon les écrivains prophètes,
Léger et caressant passera sur les têtes ?
Jamais, dit la raison, le monde se fait vieux ;
Il ne changera pas ; — et dans mon cœur : Tant mieux,
Ai-je dit bien souvent ; au jour de la vengeance
Si l'opprimé s'égare, il est absous d'avance.
Spartacus ressaisit son glaive souverain.
Il va se réveiller, le peuple souterrain,
Qui, paraissant au jour des grandes saturnales,
De mille noms hideux a souillé nos annales ;
Truands, mauvais garçons, bohémiens, pastoureaux,
Tombant et renaissant sous le fer des bourreaux ;
Et les repus voudront enfin, pour qu'il s'arrête,
Lui tailler une part dans leur gâteau de fête ;
Mais lui, beau de vengeance et de rébellion :

À moi toutes les parts, je me nomme lion !
Alors s'accomplira l'épouvantable scène
Qu'Isnard prophétisait au peuple de la Seine ;
Au rivage désert les barbares surpris,
Demanderont où fut ce qu'on nommait Paris.
Pour effacer du sol la reine des Sodomes,
Que ne défendra pas l'aiguille de ses dômes,
La foudre éclatera ; les quatre vents du ciel
Sur le terrain fumant feront grêler du sel ;
Et moi, j'applaudirai : ma jeunesse engourdie
Se réchauffera bien à ce grand incendie.

Ainsi je m'égarais à des vœux imprudents,
Et j'attisais de pleurs mes iambes ardents.
Je haïssais alors, car la souffrance irrite ;
Mais un peu de bonheur m'a converti bien vite.
Pour que son vers clément pardonne au genre humain,
Que faut-il au poëte ? Un baiser et du pain.
Dieu ménagea le vent à ma pauvreté nue ;
Mais le siècle d'airain pour d'autres continue,
Et des maux fraternels mon cœur est en émoi.
Dieu, révèle-toi bon pour tous comme pour moi.
Que ta manne en tombant étouffe le blasphème ;
Empêche de souffrir, puisque tu veux qu'on aime !
Pour que tes fils élus, tes fils déshérités

Ne lancent plus d'en bas des regards irrités,
Aux petits oiseaux toi qui donne pâture,
Nourris toutes les faims ; à tout dans la nature
Que ton hiver soit doux ; et, son règne fini,
Le poëte et l'oiseau chanteront : Sois béni !

Nostalgie - Eudore Evanturel

J'ai le regret des jours d'été
Qui meurent dans les couchants roses ;
J'aurais au cœur plus de gaîté
Si nous étions au temps des roses.

Le sort me semblerait moins dur
Et mes douleurs bien moins réelles,
Si c'était l'heure où le blé mûr
Sur le sillon tombe en javelles.

Je sentirais un peu d'espoir
Et plus d'amour remplir mon être,
Si je voyais entrer, ce soir,
Des papillons par ma fenêtre.

Car c'est l'hiver et je suis las
Du calme froid des plaines blanches.
J'ai hâte de voir du lilas
Et des nids d'oiseaux dans les branches.

L'été, l'eau des étangs reluit,
La mer, le pré, tout étincelle ;
On voit l'éclair que fait, la nuit,
La luciole avec son aile.

Mais quand s'abat l'âpre saison
Du vent, du givre et des buées,
Le soleil nage, à l'horizon,
Soir et matin, dans les nuées.

Quel temps fait-il ? Je meurs d'ennui ;
Depuis novembre il pleut, il gèle,
Et mes plus beaux rêves ont fui
Avec la dernière hirondelle.

Pourtant, bientôt, dans la forêt,
Tout renaîtra sous les ramures.
Alors, j'aurai moins de regrets,
Moins de tristesse et de murmures.

Le soleil froid donnait un ton rose au grésil… - François Coppée

Le soleil froid donnait un ton rose au grésil
Et le ciel de novembre avait des airs d'avril.
Nous voulions profiter de la belle gelée.
Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée
Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants,
Nous franchissions, parmi les couples élégants,
La porte de la blanche et joyeuse avenue,
Quand soudain jusqu'à nous une enfant presque nue
Et livide, tenant des fleurettes en main,
Accourut, se frayant à la hâte un chemin
Entre les beaux habits et les riches toilettes,
Nous offrir un petit bouquet de violettes.
Elle avait deviné que nous étions heureux
Sans doute et s'était dit : Ils seront généreux.
Elle nous proposa ses fleurs d'une voix douce,
En souriant avec ce sourire qui tousse.
Et c'était monstrueux, cette enfant de sept ans
Qui mourait de l'hiver en offrant le printemps.
Ses pauvres petits doigts étaient pleins d'engelures.
Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures ;
Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon,
Et je touchais ta main chaude dans ton manchon.
— Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passâmes ;
Mais la gaieté s'était envolée, et nos âmes
Gardèrent jusqu'au soir un souvenir amer.

Mignonne, nous ferons l'aumône cet hiver.

L’heure du platane - Sabine Sicaud

Sentez-vous cette odeur, cette odeur fauve et rousse
de beau cuir neuf, chauffé par l’automne qui flambe ?

Tous les cuirs du Levant sont là, venus ensemble
de souks lointains saturés d’ambre et de santal.
Des huiles et des gommes d’or les éclaboussent.

En de jaunes parfums d’essences et de gousses,
tous les cuirs précieux d’un faste oriental,
cuirs gaufrés et gravés, pointillés de métal,
peints et damasquinés, sont là. Ceux de Cordoue
s’allongent en panneaux où la lumière joue
comme dans l’escalier d’un palacio ducal ;
ceux de Russie ont des reflets de pourpre ardente ;
ceux de Venise la douceur d’épais velours,
et ceux des Flandres aux blonds rares, aux bruns sourds,
semblent chez le bourgmestre attendre une kermesse.

Quelles mains ont offert à ces livres de messe
la reliure somptueuse qui m’enchante ?
Et ce manteau pareil à la robe de Dante,
qui le tailla pour des poètes ignorés ?

Beaux livres d’autrefois, je vous aime, dorés
sur un fond de soleil ainsi que des Icones,
et ma bibliothèque est un gala d’automne
ce soir, entre les bras d’un arbre mitré d’or.

La légende se brode à même le décor.
Mes livres, des très vieux aux très jeunes, s’étagent
de branche en branche, à la façon d’oiseaux pensifs,
et par-dessus la mosaïque des massifs
prennent la gamme fauve et rousse du feuillage.

Car ils sont habillés de feuilles, en ce temps
où les platanes roux et fauves se dépouillent.
La vierge, dans l’allée, a filé sa quenouille
afin que chaque page ait un signet flottant.

Vous qui lisez, le front penché, dans une chambre,
ne sentez-vous donc pas qu’au seuil froid de novembre
tout ce maroquin neuf et ces parchemins d’or
sont faits pour que, ce soir, on traduise, dehors,
uniquement, les strophes du platane ? Automne,
guilloché de soleil, broché d’insectes jaunes,
plein de miel et de grains, et de cette odeur forte
que promène le vent du sud, de porte en porte ;

Automne, qui donc pourrait croire aux feuilles mortes,
croire, ce soir, à la tristesse de la mort ?

Dédié au sud-ouest - Emile Verhaeren

Sur la bruyère longue infiniment
voici le vent cornant novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l’eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d’oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
– Le vent sauvage de Novembre ! –
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d’éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d’église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L’avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d’ahan,
L’avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L’avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n’en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.

J'espère que vous avez apprécié cette sélection des poèmes les plus beaux et célèbres sur le mois de novembre.

Si vous recherchez des poèmes sur un autre mois, consultez les articles suivants :

Pour l'Amoureux de Littérature en Vous

Je suis Johann, fondateur de Poetica Mundi, poète et artisan du cuir. Je vous invite à visiter notre boutique dédiée aux amateurs de lecture et d'écriture :

  • eBooks : anthologies, idées pour créer de la poésie, livres de coloriage...
  • Articles en cuir faits main : marque-pages, carnets de notes, porte-pages…
  • Poèmes personnalisés.
Découvrez nos magnifiques marque-pages

Plus de Poésie Gratuite

- Activités, Livres, Poésie à imprimer, Poèmes par e-mail.
- Poetica Mundi sur YouTube et Instagram.
- Cliquez ci-dessous pour découvrir un poème.


Poetica Mundi c'est plus de 17000 poèmes, de la poésie sur YouTube et des activités de méditation créatrice. Blogueur et amateur de poésie, j'aime partager notre belle poésie française avec mes lecteurs. Qu'elle fasse partie de votre quotidien comme elle fait partie du miens et vous apporte de la détente et de la joie. Johann