Victor Hugo était connu pour son engagement républicain et son attachement à la paix, la liberté et aux avancées sociales. Il a été parlementaire sous la monarchie de Juillet puis sous la Deuxième et Troisième République. Voici quelques-uns de ses poèmes engagés.
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Ultima verba - Victor Hugo
... Quand même grandirait l'abjection publique
A ce point d'adorer l'exécrable trompeur ;
Quand même l'Angleterre et même l'Amérique
Diraient à l'exilé : - Va-t'en ! nous avons peur !
Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;
Quand le désert, où Dieu contre l'homme proteste,
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;
Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !
Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis, la République est là qui nous unit.
J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte ;
Je jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit !
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.
Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !
Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste,
O France ! France aimée et qu'on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j'oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit, voulant rester debout.
J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
Le manteau impérial - Victor Hugo
O ! vous dont le travail est joie,
Vous qui n'avez pas d'autre proie
Que les parfums, souffles du ciel,
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre
Pour donner aux hommes le miel,
Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l'épousée,
Visitez le lys du coteau,
Ô sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau !
Ruez-vous sur l'homme, guerrières !
Ô généreuses ouvrières,
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d'or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui : " Pour qui nous prends-tu ?
Maudit ! nous sommes les abeilles !
Des chalets ombragés de treilles
Notre ruche orne le fronton ;
Nous volons, dans l'azur écloses,
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.
Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre,
Et Charles neuf sur son balcon.
Va ! sur ta pourpre il faut qu'on mette,
Non les abeilles de l'Hymette,
Mais l'essaim noir de Montfaucon ! "
Et percez-le toutes ensemble,
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu'il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !
Souvenir de la nuit du 4 - Victor Hugo
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
Hymne à la liberté - Pierre Emmanuel
O mes frères dans les prisons vous êtes libres
Libres les yeux brûlés les membres enchaînés
Le visage troué les lèvres mutilées
Vous êtes ces arbres violents et torturés
Qui croissent plus puissants parce qu'on les émonde
Et surtout le pays d’humaine destinée
Votre regard d’hommes vrais est sans limites
Votre silence est la paix terrible de l’éther
Par-dessus les tyrans enroués de mutismes
Il y a la nef silencieuse de vos mains
Par-dessus l’ordre dérisoire des tyrans
Il y a l’ordre des nuées et des cieux vastes
Il y a la respiration des monts très bleus
Il y a les libres lointains de la prière
Il y a les larges fronts qui ne se courbent pas
Il y a les astres dans la liberté de leur essence
Il y a les immenses moissons du devenir
Il y a dans les tyrans une angoisse fatale
Qui est la liberté effroyable de Dieu.
Le déserteur - Boris Vian
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter
Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu'elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer
Pater Noster - Jacques Prévert
Notre Père qui êtes au cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs
reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des
canons.
Le berger et le roi - Jean de La fontaine
Deux démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison.
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie.
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J'appelle l'un, Amour ; et l'autre, Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire ;
Car même elle entre dans l'amour.
Je le ferais bien voir : mais mon but est de dire
Comme un Roi fit venir un Berger à sa Cour.
Le conte est du bon temps, non du siècle où nous sommes.
Ce Roi vit un troupeau qui couvrait tous les champs,
Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,
Grâce aux soins du Berger, de trés-notables sommes.
Le Berger plut au Roi par ces soins diligens.
Tu mérites, dit-il, d'être Pasteur de gens ;
Laisse-là tes moutons, viens conduire des hommes.
Je te fais Juge Souverain.
Voilà notre Berger la balance à la main.
Quoi qu'il n'eût guère vu d'autres gens qu'un Ermite,
Son troupeau, ses mâtins, le loup, et puis c'est tout,
Il avait du bon sens ; le reste vient en suite.
Bref il en vint fort bien about.
L'Ermite son voisin accourut pour lui dire :
Veillé-je, et n'est-ce point un songe que je vois ?
Vous favori ! vous grand ! défiez-vous des Rois :
Leur faveur est glissante, on s'y trompe ; et le pire,
C'est qu'il en coûte cher ; de pareilles erreurs
Ne produisent jamais que d'illustres malheurs.
Vous ne connaissez pas l'attrait qui vous engage.
Je vous parle en ami. Craignez tout. L'autre rit,
Et notre Ermite poursuivit :
Voyez combien déjà la cour vous rend peu sage.
Je crois voir cet aveugle, à qui dans un voyage
Un serpent engourdi de froid
Vint s'offrir sous la main ; il le prit pour un fouet.
Le sien s'était perdu tombant de sa ceinture.
Il rendait grâce au Ciel de l'heureuse aventure,
Quand un passant cria : Que tenez-vous ? ô Dieux !
Jetez cet animal traître et pernicieux,
Ce serpent. C'est un fouet. C'est un serpent, vous dis-je :
À me tant tourmenter quel intérêt m'oblige ?
Prétendez-vous garder ce trésor ? Pourquoi non ?
Mon fouet était usé ; j'en retrouve un fort bon ;
Vous n'en parlez que par envie.
L'aveugle enfin ne le crut pas,
Il en perdit bien-tôt la vie :
L'animal dégourdi piqua son homme au bras.
Quant à vous, j'ose vous prédire
Qu'il vous arrivera quelque chose de pire.
Eh, que me saurait-il arriver que la mort ?
Mille dégoûts viendront, dit le Prophète Ermite.
Il en vint en effet ; l'Ermite n'eut pas tort.
Mainte peste de Cour, fit tant par maint ressort,
Que la candeur du Juge, ainsi que son mérite,
Furent suspects au Prince. On cabale, on suscite
Accusateurs et gens grevés par ses arrêts.
De nos biens, dirent-ils, il s'est fait un Palais.
Le Prince voulut voir ces richesses immenses,
Il ne trouva partout que médiocrité,
Louanges du désert et de la pauvreté ;
C'étaient là ses magnificences.
Son fait, dit-on, consiste en des pierres de prix.
Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures.
Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit bien surpris
Tous les machineurs d'impostures.
Le coffre étant ouvert, on y vit des lambeaux,
L'habit d'un gardeur de troupeaux,
Petit chapeau, jupon, panetière, houlette,
Et je pense aussi sa musette.
Doux trésors, ce dit-il, chers gages qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge,
Je vous reprends : sortons de ces riches Palais
Comme l'on sortirait d'un songe.
Sire, pardonnez-moi cette exclamation.
J'avais prévu ma chute en montant sur le faîte.
Je m'y suis trop complu ; mais qui n'a dans la tête
Un petit grain d'ambition ?
L'homme et la couleuvre - Jean de La Fontaine
Un Homme vit une Couleuvre.
Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une oeuvre
Agréable à tout l'univers.
A ces mots, l'animal pervers
(C'est le serpent que je veux dire
Et non l'homme : on pourrait aisément s'y tromper),
A ces mots, le serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L'autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats, être bon aux méchants,
C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu'avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ;
Mais rapportons-nous-en. - Soit fait, dit le reptile.
Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient ;
Le cas est proposé ; c'était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L'homme, tout étonné d'une telle sentence,
Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ?
C'est une radoteuse ; elle a perdu l'esprit.
Croyons ce Boeuf. - Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents.
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ;
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux,
On croyait l'honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Boeuf. L'Homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d'arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer,
Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L'ombre l'Eté, l'Hiver les plaisirs du foyer.
Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encor vécu.
L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là.
Du sac et du serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu'il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents.
Si quelqu'un desserre les dents,
C'est un sot. - J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
- Parler de loin, ou bien se taire.
L'idole - Auguste Barbier
Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle
Au grand soleil de messidor !
C'était une cavale indomptable et rebelle,
Sans frein d'acier ni rênes d'or ;
Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois,
Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique,
Libre pour la première fois.
Jamais aucune main n'avait passé sur elle
Pour la flétrir et l'outrager ;
Jamais ses larges flancs n'avaient porté la selle
Et le harnais de l'étranger ;
Tout son poil était vierge, et, belle vagabonde,
L'œil haut, la croupe en mouvement,
Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde
Du bruit de son hennissement.
Tu parus, et sitôt que tu vis son allure,
Ses reins si souples et dispos,
Dompteur audacieux tu pris sa chevelure,
Tu montas botté sur son dos.
Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,
La poudre, les tambours battants,
Pour champ de course, alors tu lui donnas la terre
Et des combats pour passe-temps :
Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes,
Toujours l'air, toujours le travail.
Toujours comme du sable écraser des corps d'hommes,
Toujours du sang jusqu'au poitrail.
Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide,
Broya les générations ;
Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride,
Sur le ventre des nations ;
Enfin, lasse d'aller sans finir sa carrière,
D'aller sans user son chemin,
De pétrir l'univers, et comme une poussière
De soulever le genre humain ;
Les jarrets épuisés, haletante, sans force
Et fléchissant à chaque pas,
Elle demanda grâce à son cavalier corse ;
Mais, bourreau, tu n'écoutas pas !
Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse,
Pour étouffer ses cris ardents,
Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse,
De fureur tu brisas ses dents ;
Elle se releva : mais un jour de bataille,
Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
Et du coup te cassa les reins.
La victoire de Guernica - Paul Eluard
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort cœur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
J'espère que cette sélection de poèmes engagée vous a plu et vous a inspiré.
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Je n'ai pas pour habitude de présenter des poèmes récents sur ce site. Mais compte tenu du fait que certains sujets sont relativement nouveaux dans la littérature et qu'ils sont selon moi très importants, je fais une petite exception sur cette page.
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