Ô France, ton malheur m’indigne et m’est sacré. 
Je l’ai dit, et jamais je ne me lasserai 
De le redire, et c’est le grand cri de mon âme, 
Quiconque fait du mal à ma mère est infâme. 
En quelque lieu qu’il soit caché, tous mes souhaits 
Le menacent ; sur terre ou là-haut, je le hais.
César, je le flétris ; destin, je le secoue. 
Je questionne l’ombre et je fouille la boue ; 
L’empereur, ce brigand, le hasard, ce bandit, 
Éveillent ma colère ; et ma strophe maudit 
Avec des pleurs sanglants, avec des cris funèbres, 
Le sort, ce mauvais drôle errant dans les ténèbres ; 
Je rappelle la nuit, le gouffre, le ciel noir, 
Et les événements farouches, au devoir. 
Je n’admets pas qu’il soit permis aux sombres causes 
Qui mêlent aux droits vrais l’aveuglement des choses 
De faire rebrousser chemin à la raison ; 
Je dénonce un revers qui vient par trahison ; 
Quand la gloire et l’honneur tombent dans une embûche, 
J’affirme que c’est Dieu lui-même qui trébuche ; 
J’interpelle les faits tortueux et rampants, 
La victoire, l’hiver, l’ombre et ses guet-apens ; 
Je dis à ces passants quelconques de l’abîme 
Que je les vois, qu’ils sont en train de faire un crime, 
Que nous ne sommes point des femmes à genoux, 
Que nous réfléchissons, qu’ils prennent garde à nous, 
Que ce n’est pas ainsi qu’on doit traiter la France, 
Et que, même tombée au fond de la souffrance, 
Même dans le sépulcre, elle a l’étoile au front. 
Je voudrais bien savoir ce qu’ils me répondront. 
Je suis un curieux, et je gênerai, certe, 
Le destin qu’un regard sévère déconcerte, 
Car on est responsable au ciel plus qu’on ne croit. 
Quand le progrès devient boiteux, quand Dieu décroît
En apparence, ayant sur lui la nuit barbare, 
Quand l’homme est un esquif dont Satan prend la barre, 
Il est certain que l’âme humaine est au cachot, 
Et qu’on a dérangé quelque chose là-haut. 
C’est pourquoi je demande à l’ombre la parole. 
Je ne suis pas de ceux dont la fierté s’envole, 
Et qui, pour avoir vu régner des ruffians 
Et des gueux, cessent d’être à leur droit confiants ; 
Je lave ma sandale et je poursuis ma route ; 
Personne n’a jamais vu mon âme en déroute ; 
Je ne me trouble point parce qu’en ses reflux 
Le vil destin sur nous jette un Rosbach de plus ; 
La défaite me fait songer à la victoire ; 
J’ai l’obstination de l’altière mémoire ; 
Notre linceul toujours eut la vie en ses plis ; 
Quand je lis Waterloo, je prononce Austerlitz. 
Le deuil donne un peu plus de hauteur à ma tête. 
Mais ce n’est pas assez, je veux qu’on soit honnête 
Là-haut, et je veux voir ce que les destins font 
Chez eux, dans la forêt du mystère profond, 
Car ce qu’ils font chez eux, c’est chez nous qu’on le souffre. 
Je prétends regarder face à face le gouffre. 
Je sais que l’ombre doit rendre compte aux esprits. 
Je désire savoir pourquoi l’on nous a pris 
Nos villes, notre armée, et notre force utile ; 
Et pourquoi l’on filoute et pourquoi l’on mutile 
L’immense peuple aimant d’où sortent les clartés ; 
Je veux savoir le fond de nos calamités, 
Voir le dedans du sort misérable, et connaître 
Ces recoins où trop peu de lumière pénètre ; 
Pourquoi l’assassinat du Midi par le Nord, 
Pourquoi Paris vivant vaincu par Berlin mort, 
Pourquoi le bagne à l’ange et le trône au squelette ; 
Ô France, je prétends mettre sur la sellette 
La guerre, les combats, nos affronts, nos malheurs, 
Et je ferai vider leur poche à ces voleurs, 
Car juger le hasard, c’est le droit du prophète. 
J’affirme que la loi morale n’est pas faite 
Pour qu’on souffle dessus là-haut, dans la hauteur, 
Et qu’un événement peut être un malfaiteur. 
J’avertis l’inconnu que je perds patience ; 
Et c’est là la grandeur de notre conscience 
Que, seule et triste, ayant pour appui le berceau, 
L’innocence, le droit des faibles, le roseau, 
Elle est terrible ; elle a, par ce seul mot : Justice, 
Entrée au ciel ; et, si la comète au solstice 
S’égare, elle pourrait lui montrer son chemin ; 
Elle requiert Dieu même au nom du genre humain ; 
Elle est la vérité, blanche, pâle, immortelle ; 
Pas une force n’est la force devant elle ; 
Les lois qu’on ne voit pas penchent de son côté ; 
Oui, c’est là la puissance et c’est là la beauté 
De notre conscience, — écoute ceci, prêtre, —  
Qu’elle ne comprend pas qu’un attentat puisse être 
Par quelqu’un qui serait juste, prémédité ; 
Oui, sans armes, n’ayant que cette nudité,

Le vrai, quand un éclair tombe mal sur la terre, 
Quand un des coups obscurs qui sortent du mystère 
Frappe à tâtons, et met les peuples en danger, 
S’il lui plaisait d’aller là-haut l’interroger 
Au milieu de cette ombre énorme qu’on vénère, 
Tranquille, elle ferait bégayer le tonnerre.

Victor Hugo

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