C’était du temps que j’étais jeune ;
Je maigrissais ; rien ne maigrit 
Comme cette espèce de jeûne 
Qu’on appelle nourrir l’esprit. 

J’étais devenu vieux, timide, 
Et jaune comme un parchemin, 
À l’ombre de la pyramide 
Des bouquins de l’esprit humain. 

Tous ces tomes que l’âge rogne 
Couvraient ma planche et ma cloison. 
J’étais parfois comme un ivrogne 
Tant je m’emplissais de raison. 

Cent bibles encombraient ma table ;
Cent systèmes étaient dedans ;
On eût, par le plus véritable, 
Pu se faire arracher les dents. 

Un jour que je lisais Jamblique, 
Callinique, Augustin, Plotin, 
Un nain tout noir à mine oblique 
Parut et me dit en latin :

— « Ne va pas plus loin. Jette l’ancre. 
Fils, contemple en moi ton ancien.
Je m’appelle Bouteille-à-l’encre ;
Je suis métaphysicien. 

« Ton front fait du tort à ton ventre. 
Je viens te dire le fin mot 
De tous ces livres où l’on entre 
Jocrisse et d’où l’on sort grimaud. 

« Amuse-toi. Sois jeune, et digne 
De l’aurore et des fleurs. Isis 
Ne donnait pas d’autre consigne 
Aux sages que l’ombre a moisis. 

« Un verre de vin sans litharge 
Vaut mieux, quand l’homme le boit pur, 
Que tous ces tomes dont la charge 
Ennuie énormément ton mur. 

« Une bamboche à la Chaumière, 
D’où l’on éloigne avec soin l’eau, 
Contient cent fois plus de lumière 
Que Longin traduit par Boileau. 

« Hermès avec sa bandelette 
Occupe ton cœur grave et noir ;
Bacon est le livre où s’allaite 
Ton esprit, marmot du savoir. 

« Si Ninette, la giletière, 
Veut la bandelette d’Hermès 
Pour s’en faire une jarretière, 
Donne-la-lui sans dire mais. 

« Si Fanchette ou Landerirette 
Prend dans ton Bacon radieux 
Du papier pour sa cigarette, 
Fils des muses, rends grâce aux dieux.

« Veille, étude, ennui, patience, 
Travail, cela brûle les yeux ;
L’unique but de la science 
C’est d’être immensément joyeux. 

« Le vrai savant cherche et combine 
Jusqu’à ce que de son bouquin 
Il jaillisse une Colombine 
Qui l’accepte pour Arlequin. 

« Maxime : N’être point morose, 
N’être pas bête ; tout goûter, 
Dédier son nez à la rose, 
Sa bouche à la femme, et chanter. 

« Les anciens vivaient de la sorte ;
Mais vous êtes dupes, vous tous, 
De la fausse barbe que porte 
Le profil grec de ces vieux fous. 

« Fils, tous ces austères visages 
Sur les plaisirs étaient penchés. 
L’homme ayant inventé sept sages, 
Le Dieu bon créa sept péchés. 

« Ô docteurs, comme vous rampâtes !
Campaspe est nue en son grenier 
Sur Aristote à quatre pattes ;
L’esprit a l’amour pour ânier. 

« Grâce à l’amour, Socrate est chauve. 
L’amour d’Homère est le bâton. 
Phryné rentrait dans son alcôve 
En donnant le bras à Platon.

« On ouvrait la même boutique 
Et l’on montait au même char. 
Aspasie aimait le Portique, 
Caton riait au lupanar. 

« Salomon, repu de mollesses, 
Étudiant les tourtereaux, 
Avait juste autant de drôlesses 
Que Léonidas de héros. 

« Sénèque, aujourd’hui sur un socle, 
Prenait Chloé sous le menton. 
Fils, la sagesse est un binocle 
Braqué sur Minerve et Goton. 

« Les nymphes n’étaient pas des ourses, 
Horace n’était pas un loup ; 
Lise aujourd’hui se baigne aux sources, 
Et Tibur s’appelle Saint-Cloud. 

« Les arguments dont je te crible 
Te sauveront, toi-même aidant, 
De la stupidité terrible, 
Robe de pierre du pédant. 

« Guette autour de toi si quelque être 
Ne sourit pas innocemment ;
Un chant dénonce une fenêtre, 
Un pot de fleurs cherche un amant. 

« La grisette n’est point difforme. 
On donne aux noirs soucis congé 
Pour peu que le soir on s’endorme 
Sur un oreiller partagé.

« Aime. C’est ma dernière botte. 
Et je mêle à mes bons avis 
Cette fillette qui jabote 
Dans la mansarde vis-à-vis. » — 

Or je n’écoutai point ce drôle. 
Et je le chassai. Seulement, 
Aujourd’hui que sur mon épaule 
Mon front penche, pâle et clément,
 
Aujourd’hui que mon œil plus blême 
Voit la griffe du sphinx à nu, 
Et constate au fond du problème 
Plus d’infini, plus d’inconnu, 

Aujourd’hui que, hors des ivresses, 
Près des mers qui vont m’abîmer, 
Je regarde sur les sagesses 
Les religions écumer,
 
Aujourd’hui que mon esprit sombre 
Voit sur les dogmes, flot changeant,
L’épaisseur croissante de l’ombre, 
Ô ciel bleu, je suis indulgent 

Quand j’entends, dans le vague espace 
Où toujours ma pensée erra, 
Une belle fille qui passe 
En chantant traderidera. 

Victor Hugo

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