L'ombre, avant l'heure, se glisse
Sous les solives saures et basses,
Sur l'établi large et lisse,
Sur les mains qui s'y posent lasses ;
Il semble que le jour finisse.
Alors qu'au dehors
D'autres vont partir pour la chasse…

Comme l'Alvitte dort !
Que ne s'éveille-t-elle ?
Pourquoi dort-elle encor ?
Sans doute, elle se disait très lasse ;
Wieland écoute son sommeil…

Il écoute : le vent passe ; il écoute
Le vent passe et pleure et se plaint
Comme un cor
Qui sanglote et s'éteint
Tout au loin,
Ou si près !
Une flèche qui siffle à l'oreille…

L'Alvitte sommeille :
Par delà le rideau de la couche,
Il guette un son léger ;
N'est-ce le souffle de sa bouche
Harmonieux, égal et parfumé ?
Il écoute, il doute…

Soudain !
Éclate la voix de Slafîde au dehors,
Mêlée en un cri au vent du Nord :

« Wieland es-tu là ? »
« – Que t'importe ? laisse et passe ! »
Pense Wieland, en un souffle, énervé ;
Car ses frères qu'il évite
Sont jaloux de l'Alvitte
Et se rient de son œuvre rêvé.

Mais Égile crie plus fort :
« Que te disais-je, Wieland ?
Elles nous quittent !
Elles se sont envolées ;
La saison nous les devait voler :
Le vent les apporta et le vent les emporte !
Il fait froid. »

Et il frappe à la porte :
« Vas-tu laisser ta lime ? N'est-elle encore usée ?
Et rallumer ta forge devant l'enclume claire ?
Nous nous y chauffions, tous trois, comme des rois,
L'autre hiver ;
Ouvre, Wieland, aux frères ! »
« – Passe au large ! » souffle-t-il à voix basse.
« – Il est fou ! »

Mais Wieland en est pâle :
Leur chanson aux mots lourds
Sonne au seuil comme un deuil :
« C'est fini la saison des amours ! »
D'un grand geste fébrile
IL écarte le rideau de feutre…
L'Alvitte n'est pas là ! … que sait-il ?
Il écoute :
« Viens, Wieland, chante encore avec nous
Le vieux refrain d'automne ;
Tu l'as chanté l'antan ; es-tu sourd ?
C'est fini la saison des amours… »
Wieland serre sur son cœur le manteau de sa peine ;
11 est lourd !
« Wieland ! on entend ton haleine ;
Vas-tu parler enfin ? réponds-nous
Es-tu fou ? »
« – Il est mort ! »
Mais Wieland, de voix forte :
« Passe au large ! elle dort »
Il est pâle comme un mort,
Son âme est comme une morte…

« Bien du bonheur tous deux !
Car l'Oline est partie sans adieux,
Et Lodrune est partie sans rien dire ;
Nous n'aurions rien trouvé de mieux ;
Elles auraient pu faire pire ;
Nous nous sentons si légers, tous deux ;
Il semble qu'elles nous aient laissé
Leurs ailes ! »
Il riait.
« Vas-tu laisser ta belle ?
Viens chanter avec nous :
C'est fini la saison des baisers…
Il va neiger, Wieland,
On se sent si léger. »

« – En chasse ! » crie Slafide. « Il est fou !
Laissons-les. »
« – Au moins, forge-nous de l'acier ;

Laisse l'or, prends du fer :
C'est fini la saison de ne rien faire ! … »

Et leur voix s'envola dans le vent
Qui s'en vient des glaciers.


Francis Vielé-Griffin

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